La lecture, une hygiène de vie

1. Une évasion

1. Hygiène de vie à part entière1« J’ai du mal à me représenter un jour sans lecture, et je me demande souvent si je n’ai pas au fond vécu en lecteur. » (Ernst JÜNGER, Soixante-dix s’efface IV. 1986-1990, 1995, Paris, éd. Gallimard [2002], coll. du monde entier, trad. Julien Hervier, p. 54)., la lecture est l’application de l’esprit au déchiffrement de lettres écrites (manuscrites, imprimées ou affichées) afin de saisir le sens d’un texte et de laisser les impressions qu’il suscite se développer dans l’imaginaire. Ainsi, de tous les loisirs (et plaisirs2« […] le plaisir qu’elle [la lecture] nous donne est un plaisir où le corps n’a point de part ; c’est un plaisir pénétré d’intelligence et tout spirituel ; c’est une joie d’âme. […] C’est un plaisir pur, un plaisir noble, et par suite libérateur. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 15).) intellectuels, la lecture n’est pas celui qui demande le moins d’effort3« Cependant la lecture est une peine pour la plûpart des hommes ; les militaires qui l’ont négligée dans leur jeunesse, sont incapables de s’y plaire dans un âge mûr. Les joueurs veulent des coups de cartes & de dés qui occupent leur ame, sans qu’il soit besoin qu’elle contribue à son plaisir par une attention suivie. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie , ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Tome 9, 1751/1772, Paris, éd. Le Breton, Durand, Briasson & David, p. 336).. Au reste, on lit d’autant mieux qu’on lit souvent4« La première [la lecture silencieuse] requiert seulement la connaissance des lettres, de leur son, & de leur assemblage ; elle devient prompte par l’exercice, & suffit à l’homme de cabinet. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., pp. 335-336). : la lecture est en effet une compétence, qui se pratique avec aisance lorsqu’elle est coutumière.

2. Une fois acquise l’aptitude à interpréter les lettres (nécessairement avec le secours d’une autre personne qui enseigne la lecture), l’habitude de lire se forge progressivement, dans la solitude d’instants de recueillement : lire, c’est se pencher sur un livre, se replier sur soi pour s’ouvrir à un autre monde5« À l’heure actuelle voici, à mon sens, les raisons pour lesquelles nous lisons : un, pour nous délivrer de nous-mêmes ; deux, pour nous armer contre des dangers réels ou imaginaires ; trois, pour nous « maintenir au niveau » de nos voisins, ou pour les impressionner, ce que revient au même ; quatre, pour savoir ce qui se passe dans le monde ; cinq, pour notre plaisir, ce qui veut dire pour stimuler et élever nos activités et pour enrichir notre être. On peut ajouter d’autres raisons à ces cinq-là, mais elles me paraissent être les principales… et je les ai données dans leur ordre d’importance actuelle, si je ne me trompe pas sur mes contemporains. » (Henry MILLER, Lire aux cabinets, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, pp. 75-76).. L’évasion — une sortie valant délivrance, étymologiquement l’action d’aller à l’extérieur — est sans doute le premier bienfait de la lecture : suspendant la course ordinaire du temps6« Dans cette vie qu’il faut passer plutôt que sentir, [l’auteur] qui distrait l’homme de lui-même et des autres, qui suspend l’action des passions pour y substituer des jouissances indépendantes, serait dispensateur du seul véritable bonheur dont la nature humaine soit susceptible, si l’influence de son talent pouvait se perpétuer. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. p. 56)., elle change le contenu de l’esprit comme on change l’eau d’un aquarium, à ceci près qu’une fois le livre refermé, les soucis du quotidien reviennent. Le répit n’aura été que de courte durée.

3. Naturellement, la lecture procure d’autant plus de dépaysement que les livres choisis reflètent les paysages intérieurs de leur auteur (et même de leurs lecteurs7« Utilité de tout ce qu’on fait pour soi, sans idée de profit. Pendant ces années de dépaysement, j’avais continué la lecture des auteurs antiques : les volumes à couverture rouge ou verte de l’édition LoebHeinemann m’étaient devenus une patrie. L’une des meilleures manières de recréer la pensée d’un homme : reconstituer sa bibliothèque. » (Marguerite YOURCENAR, Mémoires d’Hadrien, 1951, Paris, éd. Gallimard [1974], coll. Folio, Carnets de notes, p. 327).). En des siècles puritains, la lecture présente mille écueils pour le lectorat sensible (les femmes et les enfants8« Ne cède pas à la curiosité qui veut tout voir, tout entendre. N’ouvre jamais, sans la permission de ta mère, un livre, une brochure, un journal, quand même le titre en serait bon. Le mal se glisse partout et tu ne saurais prendre trop de précautions pour t’en garantir. » (J. CL., Du berceau à la tombe, 1893, Lille, Société de Saint-Augustin, Desclée & de Brouwer, p. 17).) : il ne faudrait pas que ceux-ci découvrent les choses de la vie et que celles-là aient l’idée de prendre un amant — les héroïnes sont si dépravées…

4. À certaines gens, une bibliothèque n’est qu’un décor et tous les livres sont inutiles tant que l’on peut recourir au dictionnaire9« Je n’ai point de bibliothèque : à quoi bon encombrer de livres une pièce que tout autre décor embellirait d’une manière plus satisfaisante pour l’imagination, et surtout quand il existe un ouvrage qui tient si bien lieu de tous les autres ? Cet ouvrage, vous l’avez deviné, c’est le Dictionnaire de Littré. » (Jacques BOULENGER, « Chasse à courre », Gazette du bon ton. Arts, modes & frivolités, 1912, n° 1, pp. 85-88, spéc. p. 85). (aujourd’hui consulter internet) — il est vrai que certains sont fort bien tournés, à l’instar du Furetière et du Littré. Cela dit, il serait surprenant que vous ne trouviez aucun livre qui vous plaise : il en existe absolument sur tous les sujets, même les plus improbables10« On a écrit des livres sur tous les sujets imaginables et même sur les perruques. » (Mme DE GENLIS, Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la cour, Tome 2, 1818, Paris, éd. Mongie, Perruques, p. 45)..

5. Mais peut-être avez-vous peu de temps à consacrer à la lecture, ce qui ne serait guère étonnant puisqu’on manque d’occasions pour lire depuis au moins 1696 : « on n’a plus le temps de rien approfondir », remarque un auteur d’alors11« Jamais les Livres de Remarques & de bons Mots n’ont tant été à la mode, qu’ils le sont présentement, non seulement parce que la lecture en est plus aisée, & plus agréable, mais aussi parce que l’on n’a plus le temps de rien approfondir ; un chacun s’occupe à des choses plus sérieuses & plus utiles pour le temps présent que la lecture. » (ANONYME, « Préface », dans Antoine FURETIÈRE, Furetiriana, ou les Bons mots et les remarques, histoires de morale, de critique, de plaisanterie et d’érudition, 1696 [posthume], Lyon, éd. Thomas Amaulry, p. iij). — raison pour laquelle les lecteurs préféraient déjà les livres faciles et variés qui abordent plaisamment une multitude de sujets12« La plupart [des gens] fatigués par mille chagrins domestiques, ne lisent point pour se fatiguer encore, mais pour dissiper, s’ils peuvent, leur mélancolie par la diversité des matières ; l’on trouve ce que l’on souhaite dans les Livres de même nature que celui-ci, où l’on a tout mêlé pour plaire davantage au public. » (ANONYME, « Préface », dans Antoine FURETIÈRE, Furetiriana, ou les Bons mots et les remarques, histoires de morale, de critique, de plaisanterie et d’érudition, 1696 [posthume], Lyon, éd. Thomas Amaulry, p. iij). ; un siècle plus tard, le grand Marmontel (ami de Voltaire et Diderot) ne dira pas autre chose13« L’ennui naquit un jour de l’uniformité. / C’est ce qu’on doit savoir, surtout lorsqu’on écrit pour une jeunesse naturellement dissipée, ou pour un monde qui, n’ayant pas le temps ou le courage de suivre de longues lectures, veut pouvoir quitter et reprendre un livre, selon sa fantaisie, et y trouver, en l’ouvrant au hasard, de quoi s’occuper un moment. » (Jean-François MARMONTEL, Éléments de littérature, Tome 1, 1787, Paris, éd. Didot [1846], p. i)..

6. Pourtant on peut lire n’importe où — y compris dans les endroits les plus incongrus14« Il existe un aspect de la lecture qui vaut, je crois, qu’on s’y étende un peu, car il s’agit d’une habitude très répandue et dont, à ma connaissance, on a dit bien peu de choses… je veux parler du fait de lire aux cabinets. » (Henry MILLER, Lire aux cabinets, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, p. 51). — mais, ordinairement, les lieux tranquilles sont les plus propices à la lecture approfondie15« Or l’ouvrage qu’on entend réciter, qu’on entend lire agréablement, séduit plus que l’ouvrage qu’on lit soi-même & de sens froid dans son cabinet. C’est aussi de cette dernière manière que la lecture est la plus utile ; car pour en recueillir le fruit tout entier, il faut du silence, du repos & de la méditation. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336). ; évidemment tout dépend du type de littérature auquel on s’attaque16« Il y a des livres qu’il faut lire dans sa chambre, une fois la nuit tombée, d’autres qui supportent le train ou la salle d’attente. » (Henri TANNER, Le grain de sénevé, 1967, Saint-Maurice (Suisse), éd. Saint-Augustin, p. 58).. L’idéal est de jouir d’un long repos car, bien pensé et bien écrit, un livre crée de toutes pièces un monde — l’œuvre bien faite happe, retient et engloutit le lecteur17« Vous êtes à la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez à lire ce livre comme vous liriez le journal officiel de la préfecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant à autre chose, distrait, un peu bâillant. Tout à coup vous vous sentez saisi, votre pensée semble ne plus être à vous, votre distraction s’est dissipée, une sorte d’absorption, presque une sujétion, lui succède, vous n’êtes plus maître de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? Ce livre. / Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas. » (Victor HUGO, « Du génie », Post-scriptum de ma vie, 1901 [posthume], Paris, éd. Calmann-Lévy, pp. 79-86, spéc. p. 79).. D’ailleurs, la lecture est une maturation : avec du temps devant soi, on digère à loisir, dit Jaucourt, et on juge plus sainement — de la lecture comme d’une conversation intérieure avec l’écrivain18« D’un autre côté, on juge plus sainement par la lecture [que par l’écoute de la déclamation] ; ce qu’on écoute passe rapidement, ce qu’on lit se digère à loisir. On peut à son aise revenir sur les mêmes endroits, & discuter, pour ainsi dire, chaque phrase. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336).. Ainsi, et même aux jours les plus tristes, une lecture revigorante saura apporter quelque gaieté19« Les ouvrages d’imagination agissent sur les hommes de deux manières, en leur présentant des tableaux piquants qui font naître la gaîté, ou en excitant les émotions de l’âme. » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 2, 1799, Paris, éd. Maradan, p. 138). et dissiper, un instant au moins, les humeurs chagrines.

7. C’est qu’à chaque nouvelle lecture, les personnages renaissent : ils reviennent à la vie, rejouent leur comédie puis, une fois le livre terminé, ils se rangent sagement sous la couverture en attendant qu’un nouveau lecteur les ressuscitent20« Emma Bovary a raté son suicide. Avec chaque nouveau lecteur, elle refait une tentative. Toujours elle espère que ce sera la bonne. Et puis non. Elle est sauvée in extremis par un autre lecteur et tout recommence. Si on croit pourtant qu’elle va renoncer, c’est mal la connaître. Il y aura bien un dernier lecteur, un jour, alors elle reposera en paix. » (Éric CHEVILLARD, « Billet n° 2909 », L’autofictif [en ligne], 30 mars 2016).. Sans doute, la lecture à voix haute — tombée en désuétude sauf à l’église et à l’école (aujourd’hui on lit pour soi, c’est-à-dire dans sa tête) —, la lecture à voix haute fait surgir le monde du livre avec d’autant plus d’acuité21« Peu de personnes savent lire à haute voix : c’est un art, du reste. » (Érik SATIE, Écrits réunis par Ornella Volta, 1981 [posthume], Paris, éd. Champ Libre, p. 53)., mais requiert un certain talent oratoire22« L’autre manière [la lecture à voix haute] demande, pour flatter l’oreille des auditeurs, beaucoup plus que de savoir lire pour soi-même ; elle exige, pour plaire à ceux qui nous écoutent, une parfaite intelligence des choses qu’on leur lit, un son harmonieux, une prononciation distincte, une heureuse flexibilité dans les organes de la voix, tant pour le changement des tons que pour les pauses nécessaires. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336). qui, du reste, n’est pas inutile dans la sphère sociale. À voix haute, la question de l’interprétation du texte se pose instamment (le ton et le son23« Si ma mère était une lectrice infidèle c’était aussi, pour les ouvrages où elle trouvait l’accent d’un sentiment vrai, une lectrice admirable par le respect et la simplicité de l’interprétation, par la beauté et la douceur du son. » (Marcel PROUST, Du côté de chez Swann, 1913, Paris, éd. nrf [1919], pp. 43-44).) tandis que la lecture intérieure doit sacrifier aux mêmes exigences de clarté et de fluidité si l’on veut absorber tous les sucs de l’énoncé.

2. Une initiation

8. En filigrane, la lectrice ressent que par l’évasion de la lecture s’opère une initiation à la vie de l’esprit et à la culture générale : la lecture, relève encore l’édifiant Jaucourt24« Il suffit de dire qu’elle [la lecture] est indispensable pour orner l’esprit & former le jugement ; sans elle, le plus beau naturel se desséche & se fane. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336)., orne l’esprit et forme le jugement. Vous êtes un animal non seulement social et politique, mais encore culturel et symbolique ; en tant que tel, vous ne vivez pas dans un monde matériel constitué d’objets mais dans un monde spirituel tissé d’idées — les objets eux-mêmes ne sont que des concepts ramassés en ustensiles et accessoires.

9. Naturellement le livre — artefact constitué d’encre et de papier, de cuir ou de carton — est l’objet conceptuel par excellence : il contient toute l’entièreté du monde ou presque et l’autrice gage que le numérique (les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle) demeurera quelques siècles encore la transposition directe de l’expérience intellectuelle attachée au livre (élaboration, consignation et consultation du savoir comme de la fiction). Toute la civilisation étant fondée sur l’écriture, il semble en effet que la grammaire de la coopération humaine ne sera pas entièrement refondue — disons revue, corrigée et augmentée — par la seule puissance du numérique : l’humanité met toujours un temps considérable à domestiquer, absorber et digérer les créations nouvelles qu’elle sort pourtant d’elle-même.

10. Ainsi la lecture comme activité psychique revient-elle à se familiariser avec le monde selon des modes de connaissance qui sont toujours les mêmes (et ce, quel que soit le livre ou le genre) : prise en main du volume, déchiffrement des caractères, découverte du thème, projection culturelle, critique instinctive, imprégnation du ton, déduction de la structure, etc. À travers un propos, un ouvrage se fait toujours l’écho d’une certaine représentation du monde ; c’est particulièrement net quand on aborde des livres anciens ou étrangers. À cet égard, il apparaît qu’un livre traverse d’autant mieux les millénaires qu’il épouse la nature et la condition humaines25« L’existence d’invariants structuraux tels que ceux qui caractérisent la position de l’ »héritier » ou, plus généralement, de l’adolescent, et qui peuvent être au principe de rapports d’identification entre le lecteur et le personnage, est sans doute un des fondements du caractère d’éternité que la tradition littéraire prête à certaines œuvres ou à certains personnages. » (Pierre BOURDIEU, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, 1992, Paris, éd. du Seuil, coll. Libre examen / Politique, note 40, p. 33)., qu’il les décrit, les met en scène et en relief.

11. C’est la lecture des livres et articles26« J’ai reçu [des êtres humains] plus de choses par le livre que par la poignée de main. Le livre m’a fait connaître le meilleur d’eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l’Histoire, la trace qu’ils laissent derrière eux. » (Henri LABORIT, Éloge de la fuite, 1976, Paris, éd. Gallimard [1985], coll. Folio essais, p. 29)., aujourd’hui le visionnage de documentaires, conférences et entretiens, qui permet d’étendre sa culture au-delà de la petite portion du réel auquel on a accès27« Il n’y a que deux moyens pour connaître : observer et méditer. Il est facile de juger combien nos connaissances seraient bornées si nous étions réduits à nos observations et à nos méditations personnelles, et à celles de ceux qui nous entourent. Tel est l’état des peuplades que nous nommons sauvages. Mais les livres nous font jouir des observations et des méditations des hommes de tous les temps et de tous les lieux. » (Pierre CHODERLOS DE LACLOS, Essai sur l’éducation des femmes, 1783, publié dans la Revue bleue, revue politique et littéraire, 23 mai 1908, n° 21, 5e série, Tome 9, pp. 643-648, spéc. p. 644). : l’essentiel du savoir maîtrisé provient du croisement de ces sources, c’est-à-dire de la transmission écrite ou audiovisuelle, également orale lorsqu’on songe à l’enseignement, lequel fait cependant la part belle à l’écrit. La lecture de livres quels qu’ils soient ajoute à l’expérience de vie28« C’est ce qui rend l’écrivain si important. Il se trouve devant cette matière informe, diverse, compliquée qu’est la vie. Il la travaille et en la travaillant il la voit peu à peu prendre forme, il se dit : « tiens, ça donne certaines choses, ça produit certains effets. » Et il permet aux gens de faire ces expériences à travers lui, d’analyser leurs propres expériences à travers le siennes. » (Marguerite YOURCENAR, interrogée par Bernard Pivot, dans l’émission Apostrophes, France, réal. Nicolas Ribowski, chaîne Antenne 2, 7 déc. 1979.). mais évidemment, la lecture des nobles ouvrages contribue à l’élévation de l’âme et du caractère29« Il existe une telle connexion entre toutes les facultés de l’homme, qu’en perfectionnant même son goût en littérature, on agit sur l’élévation de son caractère […] » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 1, 1799, Paris, éd. Maradan, p. x)., outre qu’elle procure d’exquises jouissances30« En même temps qu’elle nous procure les jouissances les plus exquises, [la vraie littérature] satisfait les besoins les plus nobles de l’intelligence et du cœur ; elle élève les âmes et les agrandit. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 14)..

12. Cependant, les livres classiques ne sont pas les plus faciles à lire — l’autrice a suffisamment peiné sur Montaigne et Homère pour avoir le toupet de soutenir l’inverse31« Mais quand je vois combien peu de gens lisent L’Iliade d’Homère, je prends plus gaiement mon parti d’être peu lu. » (Marguerite YOURCENAR, L’Œuvre au noir, 1968, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, p. 156).. Mais, comme le note Choderlos de Laclos, qu’on rapporte à tort à ses seules Liaisons dangereuses, « l’expérience personnelle est souvent chère et toujours tardive ; il est donc utile de profiter de celle des autres. C’est dans les livres que celle-là se trouve. »32« La lecture est réellement une seconde éducation qui supplée à l’insuffisance de la première. Celle-ci a plus pour but de nous mettre en état de nous former que de nous former en effet. Elle nous fournit en quelque sorte les matériaux et les instruments ; rarement s’occupe-t-elle de nous en indiquer l’usage, et plus rarement encore de nous guider dans le travail qu’elle nous laisse à faire. La connaissance de ce travail ne peut être que le fruit de l’expérience : mais l’expérience personnelle est souvent chère et toujours tardive ; il est donc utile de profiter de celle des autres. C’est dans les livres que celle-là se trouve. » (Pierre CHODERLOS DE LACLOS, Essai sur l’éducation des femmes, 1783, publié dans la Revue bleue, revue politique et littéraire, 23 mai 1908, n° 21, 5e série, Tome 9, pp. 643-648, spéc. p. 644). On ne saurait mieux dire. Et même si la presse, la télévision et le cinéma remplissent parfois cette même fonction, il est certain que le livre apporte au développement des facultés psychiques et intellectuelles, des structures mentales et des modes de raisonnement que ni la télévision ni l’ordinateur ne peuvent lui procurer33« Peut-être distinguera-t-on à la fin de ce siècle deux classes d’hommes, les uns formés par la télévision, les autres par la lecture. » (Ernst JÜNGER, Soixante-dix s’efface II. 1971-1980, 1981, Paris, éd. Gallimard [1985], coll. du monde entier, trad. Henri Plard, p. 502).. D’ailleurs, le but de la littérature n’est-il pas d’élever l’esprit34« Quand une lecture nous élève l’esprit et qu’elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l’ouvrage : il est bon et fait de main d’ouvrier. » (LA BRUYÈRE, Les Caractères, 1688, Paris, éd. Flammarion [1880], p. 64). et de policer les manières35« Les bonnes lectures d’imagination développent le tact dans les habitudes, le goût dans les appréciations, la noblesse dans les sentiments, la distinction du cœur, de l’esprit et des manières. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 96). ?

13. La particularité de la fiction tient à ce que, prenant le lecteur par les sentiments36« [les fictions] ont une grande influence sur toutes les idées morales, lorsqu’elles émeuvent le cœur ; et ce talent est peut-être le moyen le plus puissant de diriger ou d’éclairer. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. p. 3)., elle lui enseigne la vie (et la morale) en suscitant en lui des émotions37« Le don d’émouvoir est la grande puissance des fictions ; on peut rendre sensibles presque toutes les vérités morales, en les mettant en action. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. p. 44). : par l’identification (ou la répulsion), le personnage de roman exerce les facultés de jugement38« Elle [l’autorité du roman] provoque un processus de simulation mentale au cours duquel le lecteur est invité à expliquer, à prédire ou évaluer le comportement des personnages (ou du narrateur) à l’aune de ses propres schémas psychologiques, adaptés bien sûr aux contraintes fixées par l’auteur — profil et situation des personnages, contexte de l’action… Ce même processus lui permet de s’identifier à eux, ou de prendre ses distances, de ressentir des émotions qu’il partage avec eux ou qui naissent de sa perception de leur histoire. » (Christèle COULEAU, « Faire autorité : une ambition romanesque », dans Emmanuel BOUJU (dir.), L’autorité en littérature. Genèse d’un genre littéraire en Grèce, 2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, pp. 73-84, §16). sauf lorsque, prenant de mauvais modèles (hier Madame Bovary, aujourd’hui la dark romance39« Sous-genre littéraire apparu dans les années 2010 et devenu très populaire dans les années 2020, la « dark romance » (romance sombre) entre dans la catégorie des histoires d’amour malsaines, mettant en scène des relations parfois condamnées par la morale ou par la loi. […] La dark romance explore les zones grises de l’amour et du désir. Elle se définit par des histoires où les relations de pouvoir sont au cœur de la trame narrative, la plupart du temps marquées par une violence latente ou explicite entre les protagonistes […]. Dans ces romans les héroïnes se retrouvent fréquemment en situation de soumission face à des héros masculins dominants physiquement et/ou psychologiquement, récits souvent critiqués pour l’image ambiguë qu’ils véhiculent des relations amoureuses […] » (Magali BIGEY, « La « dark romance » : les ambiguïtés d’un genre littéraire qui fascine », The conversation [en ligne], 28 nov. 2024).), il donne le mauvais exemple ou renforce les clichés. Lire un livre, c’est constamment se comparer au livre et, par conséquent, se sonder, examiner son caractère et sa vie40« En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. » (Marcel PROUST, Le Temps retrouvé, 36e éd., 1927, Paris, éd. Gallimard, p. 70)..

14. Parce que l’écriture — forme de communication intermédiée — permet de confier au papier des choses intimes41[À propos de ses lectures] « Soudain, des hommes de chair et d’os me parlaient, de bouche à oreille, d’eux-mêmes et de moi, ils exprimaient des aspirations, des révoltes que je n’avais pas su me formuler, mais que je reconnaissais. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, p. 179)., voire impudiques, la lecture conduit à recueillir quantité de confidences que l’auteur serait bien en peine de dire mais qu’il parvient tout de même à écrire au prix d’un certain effort sur lui-même. La sexualité, le corps et la honte y sont traités avec une sincérité crue mais nécessaire — dans un monde ouvert et abondant, il incombe à chacun de faire sa propre éducation en puisant dans le grand marché de la culture. En ce sens, rien n’est plus inoffensif qu’un livre qu’on n’ouvre jamais : certains écrits devenus classiques demeurent étonnamment subversifs42« Les différentes formes économiques revêtues par la société, l’esclavage, par exemple, et le salariat, ne se distinguent que par le mode dont ce surtravail est imposé et extorqué au producteur immédiat, à l’ouvrier. » (Karl MARX, Le Capital, 1867, Paris, éd. Lachâtre [1872], trad. Joseph Roy (révisée par l’auteur), chap. 9, p. 93)..

3. Une consolation

15. Peut-être est-ce déjà une forme de consolation que de découvrir, dans certains grands livres passés à la postérité, un renversement de l’ordre des choses, une remise en cause de la marche du monde. Pour faire son profit d’une lecture, mieux vaut lire peu et lentement mais attentivement, en ayant à cœur d’en extraire la substance et d’en méditer la leçon43« Au reste, si vous voulez lire avec fruit, lisez peu de livres, mais lisez-les bien, lentement, avec attention, revenant par la réflexion sur ce que vous avez lu, vous l’assimilant par une sorte de digestion spirituelle, produisant en même temps que vous recevez, joignant votre activité à cette puissance extérieure qui s’empare de votre âme, et gardant avec soin la liberté de votre esprit et de votre cœur sous cette force qui vous domine et tend à vous envahir. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 98). : si la lecture est rumination44« Quand j’admire un livre, c’est que j’y ai trouvé quelques phrases à mâchonner. » (Jean ROSTAND, Carnet d’un biologiste, 1959, Paris, éd. Stock, p. 112). et digestion, c’est qu’elle est également nourriture de l’esprit et affermissement de la volonté45« Mes paysans sont d’excellents critiques ; ils jugent du blé comme on devrait juger des œuvres littéraires. Elles sont bien nourriture après tout, elles sont le pain des esprits et des volontés ; les meilleurs sont celles qui ajoutent quelque chose à la substance de l’âme, qui font les bras plus robustes et le sang plus généreux. » (Constantin LECIGNE, Du Dilettantisme à l’action, Tome 2, 1908, Paris, éd. Lethielleux, p. xii).. Simone de Beauvoir souligne ainsi la fonction de secours du livre mais également la capacité de certains textes à sanctifier toutes les circonstances de la vie quotidienne46« Je m’abîmai dans la lecture comme autrefois dans la prière. La littérature prit dans mon existence la place qu’y avait occupé la religion : elle l’envahit tout entière, et la transfigura. Les livres que j’aimais devinrent une Bible où je puisais des conseils et des secours ; j’en copiai de longs extraits ; j’appris par cœur de nouveaux cantiques et de nouvelles litanies, des psaumes, des proverbes, des prophéties et je sanctifiai toutes les circonstances de ma vie en me récitant ces textes sacrés. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, p. 179).. Sanctifier, le mot ne pouvait que séduire l’autrice, « Rendre saint, conduire à la pureté, à la perfection divine »47Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Sanctifier, Théologie, 1., c’est-à-dire placer hors du trivial, élever au-dessus du vulgaire, faire de son existence non pas un non-sens mais une œuvre.

16. Montaigne insiste aussi sur la fonction de conseil de la littérature : « Je n’aime, quant à moi, que des livres ou agréables ou faciles, qui me charment, ou ceux qui me consolent et me conseillent pour régler ma vie et ma mort. »48Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], 1592, Paris, éd. Gallimard [2009], coll. Quarto, Livre I, chap. 39, p. 303. C’est une fonction que les présentes Règles du jeu ne nieraient pas, même si elles visent plus à l’influence par la prise de conscience : « Prenant du recul sur sa vie, sur les jeux sociaux auxquels il participe, sur la comédie sociale qu’il anime, le lecteur — devenu entomologiste en lisant la notice — doit tout à coup se deviner, s’apercevoir, se reconnaître insecte. »49« Prenant du recul sur sa vie, sur les jeux sociaux auxquels il participe, sur la comédie sociale qu’il anime, le lecteur — devenu entomologiste en lisant la notice — doit tout à coup se deviner, s’apercevoir, se reconnaître insecte. » (Valérie DEBRUT, « Le manifeste de la notice », écrire la règle du jeu [en ligne], 9 août 2017, §20).

17. La prise de conscience (« le fait d’éveiller son attention à une question jusqu’alors mal perçue, d’en acquérir une connaissance claire, nette »50Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Conscience, I, 3.) amène la prise de recul (le fait de « se donner le temps de la réflexion pour considérer plus sereinement une situation »51Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Recul, 2, Expression, Figuré.), c’est-à-dire une prise de distance (le fait de « [s]e situer dans une nouvelle position par rapport à [s]a réflexion initiale »52Claudine SAMALIN-AMBOISE, « La prise de distance ou l’autre scène de l’implication », Bulletin de psychologie, 1986, Tome 39, n° 377, pp. 809-815, spéc. p. 811., c’est-à-dire de moins s’impliquer au plan émotionnel53« La prise de distance fonctionne comme mécanisme de dégagement au sens où Lagache envisage cette opération comme « le désinvestissement de la contre-pulsion défensive, son ajournement, et en contre-partie, le « surinvestissement » de certaines pensées, lequel fait appel à l’attention et à la réflexion » […] » (Ibid., p. 813, citation de Daniel LAGACHE, L’unité de la psychologie, 1949, Paris, éd. PUF [1983], coll. Quadrige, p. 33).).

18. Un bon moyen de consoler quelqu’un est en effet de porter à sa connaissance certains faits qui lui permettront soit de relativiser ses soucis, soit de les mettre en perspective, c’est-à-dire de leur donner du sens. Or la signification est tout dans l’expérience humaine : on ne parvient à surmonter les traumatismes qu’en leur donnant une valeur (appréciation) et une portée (finalité), c’est-à-dire en les replaçant dans le contexte plus général de tous les évènements déjà survenus au cours de l’existence afin de faire apparaître celle-ci comme un parcours destiné à enrichir l’être.

19. Mais revenons à la fonction de consolation de la lecture54« Que de consolations nous sont données par les écrits d’un certain ordre ! » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 1, 1799, Paris, éd. Maradan, p. xliij)., le fait de « Soulager quelqu’un dans son affliction par des paroles, des gestes, des attentions. »55Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Soulager, 1, Verbe transitif. Le bon auteur doit initier mais également apaiser et réconforter — de la lecture comme d’une conversation intérieure « avec les plus honnêtes gens des siècles passés »56« […] la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées […] » (DESCARTES, Le Discours de la méthode, 1637, Leyde (Pays-Bas), éd. Ian Maire, 1re partie, p. 7).. C’est dans le silence du cœur et la disponibilité de l’âme que les grands livres se reçoivent dans toute leur plénitude57« […] les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » (Marcel PROUST, Le Temps retrouvé, 36e éd., 1927, Paris, éd. Gallimard, p. 52).. Ainsi la lecture peut-elle introduire à la vie intérieure58« La lecture est au seuil de la vie spirituelle ; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. » (Marcel PROUST, « Sur la lecture », La Renaissance latine (revue), avril/juin 1905, pp. 379-410, spéc. p. 395). et relever l’âme abattue59« Dans les déserts de l’exil, au fond des prisons, à la veille de périr, telle page d’un auteur sensible a relevé peut-être une âme abattue […] » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 1, 1799, Paris, éd. Maradan, p. xliv)., plus sobrement nourrir et charmer60« Les bonnes lectures nourrissent la jeunesse de sucs généreux, charment la vieillesse en lui retraçant les grands exemples et les beaux souvenirs, apaisent l’âme dans le tumulte des affaires et lui sourient dans la retraite des champs. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 86). — les livres sont remplis de voix prêtes à vous parler, à vous conseiller, à vous contenter61« […] les âmes ardentes et sensibles […] se croiraient seules au monde, elles détesteraient bientôt leur propre nature qui les isole, si quelques ouvrages passionnés et mélancoliques ne leur faisaient pas entendre une voix dans le désert de la vie, ne leur faisaient pas trouver dans la solitude quelques rayons du bonheur qui leur échappe au milieu du monde ; ce plaisir de la retraite les repose des vains efforts des espérances trompées ; et quand tout l’univers s’agite loin de l’être infortuné, un écrit éloquent et tendre reste auprès de lui comme l’ami le plus fidèle, et celui qui le connaît le mieux. Oui, il a raison le livre qui donne seulement un jour de distraction à la douleur, il sert aux meilleurs des hommes. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. pp. 55-56)..

20. Même aux yeux des ecclésiastiques, les (saines) lectures sont parées de toutes les vertus62« Ainsi, parce qu’il est spirituel et pénétré d’intelligence, le plaisir littéraire peut affranchir notre âme des servitudes du corps ; — et, parce qu’il est désintéressé, il contribue à réduire les passions égoïstes ; du moins il les neutralise. Mais surtout il éveille, fortifie et développe les inclinations généreuses. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 17). : elles apaisent l’esprit, consolent de l’existence63« La lecture rétablit l’équilibre entre nos facultés et nos besoins. En rendant le mouvement à notre esprit, elle allège le poids de la vie. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 88). et chassent la crainte de la mort64« D’une bonne prose, on doit exiger qu’elle chasse la crainte de la mort. » (Ernst JÜNGER, Graffiti/Frontalières, 1966, Paris, éd. Christian Bourgois [1977], coll. 10/18, trad. Henri Plard, p. 79).. C’est particulièrement dans les moments difficiles que la lecture offre un refuge65« Cicéron, dans le Pro Archia [14-15], avoue que les lettres sont inspiratrices de courage et de générosité, qu’elles reposent l’âme, qu’elles fortifient l’esprit du jeune homme, qu’elles charment les jours attristés du vieillard, qu’elles sont un ornement dans la bonne fortune, et, dans la mauvaise, un refuge et une consolation. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 13). — et un remède à bien des maux66« Les livres sont des compagnons toujours disponibles. Vieillesse, solitude, oisiveté, ennui, douleur, anxiété : il n’est aucun mal ordinaire de la vie auxquels ils ne sachent fournir un remède, à condition que ces maux ne soient point trop vifs. Les livres modèrent les soucis, offrent un recours et un secours. » (Antoine COMPAGNON, Un été avec Montaigne, 2014, Paris, éd. des Équateurs / France Inter, p. 107). — puisque le livre est un monde qui fait abstraction du monde, un univers inoffensif et (bien) réglé qui obère l’injustice et la brutalité du réel. S’il existe des livres pour toutes les circonstances de l’existence et, semble-t-il, des œuvres capables de ménager toutes les peines de la vie67« Parmi les goûts si divers que la Providence a départis aux humains, l’amour des livres est celui qui, après avoir donné, pendant la prospérité, les plus grandes, les plus véritables jouissances, ménage, pour toutes les peines de la vie, les plus douces, les plus pures, les plus durables consolations. » (Jean-Baptiste TENANT DE LATOUR, Mémoires d’un bibliophile, 1861, Paris, éd. Dentu, p. 251)., la lecture de livres sages et même augustes opère, entre auteurs et lecteurs, une sorte de communion des âmes68« Un autre avantage bien précieux des bons livres, c’est qu’ils nous mettent en rapport, en communauté de sentiments et d’idées avec les âmes les plus belles et les plus pures qui ont fait la gloire de la religion et de l’humanité. La lecture nous ouvre tous les siècles, tous les pays ; nous devenons par elle contemporains de tous les âges. Nous pouvons encore aujourd’hui nous entretenir avec les plus savants hommes de l’antiquité, qui semblent avoir vécu et travaillé pour nous. Nous trouvons en eux des maîtres que nous pouvons consulter en tout temps, des amis qui sont de toutes les heures et qui peuvent être de toutes nos parties, dont la conversation, toujours utile, toujours agréable, nous enrichit de mille connaissances curieuses et intéressantes. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, pp. 89-90). qui transcende l’existence terrestre69« […] les mots et les cadences, les vers, les versets ne me servaient pas à feindre : mais ils sauvaient du silence toutes ces intimes aventures dont je ne pouvais parler à personne ; entre moi et les âmes sœurs qui existaient quelque part, hors d’atteinte, ils créaient une sorte de communion ; au lieu de vivre ma petite histoire particulière, je participais à une grande épopée spirituelle. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, pp. 179-180). : à la lectrice éveillée, le quotidien devient épopée.

21. Aussi, la lecture achève l’opération de transmutation initiée par l’écrivaine70« Malgré leur conformisme, les livres élargissaient mon horizon ; en outre, je m’enchantais en néophyte de la sorcellerie qui transmute les signes imprimés en récit ; le désir me vint d’inverser cette magie. Assise devant une petite table, je décalquai sur le papier des phrases qui serpentaient dans ma tête : la feuille blanche se couvrait de taches violettes qui racontaient une histoire. Autour de moi, le silence de l’antichambre devenait solennel : il me semblait que j’officiais. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, p. 54). : de la vie, elle tire un récit qui, ajoutant à l’imaginaire, sera reçu par le lecteur et modifiera sa propre conception du monde. Mais plus que de la lecture, l’autrice aimerait faire l’éloge d’une action moins contraignante et tout aussi plaisante : l’habitude de feuilleter les livres. Le survol — lire en diagonale, dit-on, c’est-à-dire « très rapidement et de façon superficielle, en omettant certains passages »71Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Diagonale, Locution adverbiale. — permet de goûter à la qualité du style et de picorer dans la grande bibliothèque du monde.

— Deux lectures à picorer

L’encyclopédie de Diderot & la correspondance de George Sand

Références

— Divers

— Articles

— Ouvrages

Illustrations

  • 1
    « J’ai du mal à me représenter un jour sans lecture, et je me demande souvent si je n’ai pas au fond vécu en lecteur. » (Ernst JÜNGER, Soixante-dix s’efface IV. 1986-1990, 1995, Paris, éd. Gallimard [2002], coll. du monde entier, trad. Julien Hervier, p. 54).
  • 2
    « […] le plaisir qu’elle [la lecture] nous donne est un plaisir où le corps n’a point de part ; c’est un plaisir pénétré d’intelligence et tout spirituel ; c’est une joie d’âme. […] C’est un plaisir pur, un plaisir noble, et par suite libérateur. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 15).
  • 3
    « Cependant la lecture est une peine pour la plûpart des hommes ; les militaires qui l’ont négligée dans leur jeunesse, sont incapables de s’y plaire dans un âge mûr. Les joueurs veulent des coups de cartes & de dés qui occupent leur ame, sans qu’il soit besoin qu’elle contribue à son plaisir par une attention suivie. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie , ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Tome 9, 1751/1772, Paris, éd. Le Breton, Durand, Briasson & David, p. 336).
  • 4
    « La première [la lecture silencieuse] requiert seulement la connaissance des lettres, de leur son, & de leur assemblage ; elle devient prompte par l’exercice, & suffit à l’homme de cabinet. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., pp. 335-336).
  • 5
    « À l’heure actuelle voici, à mon sens, les raisons pour lesquelles nous lisons : un, pour nous délivrer de nous-mêmes ; deux, pour nous armer contre des dangers réels ou imaginaires ; trois, pour nous « maintenir au niveau » de nos voisins, ou pour les impressionner, ce que revient au même ; quatre, pour savoir ce qui se passe dans le monde ; cinq, pour notre plaisir, ce qui veut dire pour stimuler et élever nos activités et pour enrichir notre être. On peut ajouter d’autres raisons à ces cinq-là, mais elles me paraissent être les principales… et je les ai données dans leur ordre d’importance actuelle, si je ne me trompe pas sur mes contemporains. » (Henry MILLER, Lire aux cabinets, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, pp. 75-76).
  • 6
    « Dans cette vie qu’il faut passer plutôt que sentir, [l’auteur] qui distrait l’homme de lui-même et des autres, qui suspend l’action des passions pour y substituer des jouissances indépendantes, serait dispensateur du seul véritable bonheur dont la nature humaine soit susceptible, si l’influence de son talent pouvait se perpétuer. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. p. 56).
  • 7
    « Utilité de tout ce qu’on fait pour soi, sans idée de profit. Pendant ces années de dépaysement, j’avais continué la lecture des auteurs antiques : les volumes à couverture rouge ou verte de l’édition LoebHeinemann m’étaient devenus une patrie. L’une des meilleures manières de recréer la pensée d’un homme : reconstituer sa bibliothèque. » (Marguerite YOURCENAR, Mémoires d’Hadrien, 1951, Paris, éd. Gallimard [1974], coll. Folio, Carnets de notes, p. 327).
  • 8
    « Ne cède pas à la curiosité qui veut tout voir, tout entendre. N’ouvre jamais, sans la permission de ta mère, un livre, une brochure, un journal, quand même le titre en serait bon. Le mal se glisse partout et tu ne saurais prendre trop de précautions pour t’en garantir. » (J. CL., Du berceau à la tombe, 1893, Lille, Société de Saint-Augustin, Desclée & de Brouwer, p. 17).
  • 9
    « Je n’ai point de bibliothèque : à quoi bon encombrer de livres une pièce que tout autre décor embellirait d’une manière plus satisfaisante pour l’imagination, et surtout quand il existe un ouvrage qui tient si bien lieu de tous les autres ? Cet ouvrage, vous l’avez deviné, c’est le Dictionnaire de Littré. » (Jacques BOULENGER, « Chasse à courre », Gazette du bon ton. Arts, modes & frivolités, 1912, n° 1, pp. 85-88, spéc. p. 85).
  • 10
    « On a écrit des livres sur tous les sujets imaginables et même sur les perruques. » (Mme DE GENLIS, Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la cour, Tome 2, 1818, Paris, éd. Mongie, Perruques, p. 45).
  • 11
    « Jamais les Livres de Remarques & de bons Mots n’ont tant été à la mode, qu’ils le sont présentement, non seulement parce que la lecture en est plus aisée, & plus agréable, mais aussi parce que l’on n’a plus le temps de rien approfondir ; un chacun s’occupe à des choses plus sérieuses & plus utiles pour le temps présent que la lecture. » (ANONYME, « Préface », dans Antoine FURETIÈRE, Furetiriana, ou les Bons mots et les remarques, histoires de morale, de critique, de plaisanterie et d’érudition, 1696 [posthume], Lyon, éd. Thomas Amaulry, p. iij).
  • 12
    « La plupart [des gens] fatigués par mille chagrins domestiques, ne lisent point pour se fatiguer encore, mais pour dissiper, s’ils peuvent, leur mélancolie par la diversité des matières ; l’on trouve ce que l’on souhaite dans les Livres de même nature que celui-ci, où l’on a tout mêlé pour plaire davantage au public. » (ANONYME, « Préface », dans Antoine FURETIÈRE, Furetiriana, ou les Bons mots et les remarques, histoires de morale, de critique, de plaisanterie et d’érudition, 1696 [posthume], Lyon, éd. Thomas Amaulry, p. iij).
  • 13
    « L’ennui naquit un jour de l’uniformité. / C’est ce qu’on doit savoir, surtout lorsqu’on écrit pour une jeunesse naturellement dissipée, ou pour un monde qui, n’ayant pas le temps ou le courage de suivre de longues lectures, veut pouvoir quitter et reprendre un livre, selon sa fantaisie, et y trouver, en l’ouvrant au hasard, de quoi s’occuper un moment. » (Jean-François MARMONTEL, Éléments de littérature, Tome 1, 1787, Paris, éd. Didot [1846], p. i).
  • 14
    « Il existe un aspect de la lecture qui vaut, je crois, qu’on s’y étende un peu, car il s’agit d’une habitude très répandue et dont, à ma connaissance, on a dit bien peu de choses… je veux parler du fait de lire aux cabinets. » (Henry MILLER, Lire aux cabinets, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, p. 51).
  • 15
    « Or l’ouvrage qu’on entend réciter, qu’on entend lire agréablement, séduit plus que l’ouvrage qu’on lit soi-même & de sens froid dans son cabinet. C’est aussi de cette dernière manière que la lecture est la plus utile ; car pour en recueillir le fruit tout entier, il faut du silence, du repos & de la méditation. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336).
  • 16
    « Il y a des livres qu’il faut lire dans sa chambre, une fois la nuit tombée, d’autres qui supportent le train ou la salle d’attente. » (Henri TANNER, Le grain de sénevé, 1967, Saint-Maurice (Suisse), éd. Saint-Augustin, p. 58).
  • 17
    « Vous êtes à la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez à lire ce livre comme vous liriez le journal officiel de la préfecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant à autre chose, distrait, un peu bâillant. Tout à coup vous vous sentez saisi, votre pensée semble ne plus être à vous, votre distraction s’est dissipée, une sorte d’absorption, presque une sujétion, lui succède, vous n’êtes plus maître de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? Ce livre. / Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas. » (Victor HUGO, « Du génie », Post-scriptum de ma vie, 1901 [posthume], Paris, éd. Calmann-Lévy, pp. 79-86, spéc. p. 79).
  • 18
    « D’un autre côté, on juge plus sainement par la lecture [que par l’écoute de la déclamation] ; ce qu’on écoute passe rapidement, ce qu’on lit se digère à loisir. On peut à son aise revenir sur les mêmes endroits, & discuter, pour ainsi dire, chaque phrase. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336).
  • 19
    « Les ouvrages d’imagination agissent sur les hommes de deux manières, en leur présentant des tableaux piquants qui font naître la gaîté, ou en excitant les émotions de l’âme. » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 2, 1799, Paris, éd. Maradan, p. 138).
  • 20
    « Emma Bovary a raté son suicide. Avec chaque nouveau lecteur, elle refait une tentative. Toujours elle espère que ce sera la bonne. Et puis non. Elle est sauvée in extremis par un autre lecteur et tout recommence. Si on croit pourtant qu’elle va renoncer, c’est mal la connaître. Il y aura bien un dernier lecteur, un jour, alors elle reposera en paix. » (Éric CHEVILLARD, « Billet n° 2909 », L’autofictif [en ligne], 30 mars 2016).
  • 21
    « Peu de personnes savent lire à haute voix : c’est un art, du reste. » (Érik SATIE, Écrits réunis par Ornella Volta, 1981 [posthume], Paris, éd. Champ Libre, p. 53).
  • 22
    « L’autre manière [la lecture à voix haute] demande, pour flatter l’oreille des auditeurs, beaucoup plus que de savoir lire pour soi-même ; elle exige, pour plaire à ceux qui nous écoutent, une parfaite intelligence des choses qu’on leur lit, un son harmonieux, une prononciation distincte, une heureuse flexibilité dans les organes de la voix, tant pour le changement des tons que pour les pauses nécessaires. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336).
  • 23
    « Si ma mère était une lectrice infidèle c’était aussi, pour les ouvrages où elle trouvait l’accent d’un sentiment vrai, une lectrice admirable par le respect et la simplicité de l’interprétation, par la beauté et la douceur du son. » (Marcel PROUST, Du côté de chez Swann, 1913, Paris, éd. nrf [1919], pp. 43-44).
  • 24
    « Il suffit de dire qu’elle [la lecture] est indispensable pour orner l’esprit & former le jugement ; sans elle, le plus beau naturel se desséche & se fane. » (JAUCOURT, « Lecture (Arts) », dans DIDEROT & D’ALEMBERT (dir.), L’Encyclopédie, Tome 9, op. cit., p. 336).
  • 25
    « L’existence d’invariants structuraux tels que ceux qui caractérisent la position de l’ »héritier » ou, plus généralement, de l’adolescent, et qui peuvent être au principe de rapports d’identification entre le lecteur et le personnage, est sans doute un des fondements du caractère d’éternité que la tradition littéraire prête à certaines œuvres ou à certains personnages. » (Pierre BOURDIEU, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, 1992, Paris, éd. du Seuil, coll. Libre examen / Politique, note 40, p. 33).
  • 26
    « J’ai reçu [des êtres humains] plus de choses par le livre que par la poignée de main. Le livre m’a fait connaître le meilleur d’eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l’Histoire, la trace qu’ils laissent derrière eux. » (Henri LABORIT, Éloge de la fuite, 1976, Paris, éd. Gallimard [1985], coll. Folio essais, p. 29).
  • 27
    « Il n’y a que deux moyens pour connaître : observer et méditer. Il est facile de juger combien nos connaissances seraient bornées si nous étions réduits à nos observations et à nos méditations personnelles, et à celles de ceux qui nous entourent. Tel est l’état des peuplades que nous nommons sauvages. Mais les livres nous font jouir des observations et des méditations des hommes de tous les temps et de tous les lieux. » (Pierre CHODERLOS DE LACLOS, Essai sur l’éducation des femmes, 1783, publié dans la Revue bleue, revue politique et littéraire, 23 mai 1908, n° 21, 5e série, Tome 9, pp. 643-648, spéc. p. 644).
  • 28
    « C’est ce qui rend l’écrivain si important. Il se trouve devant cette matière informe, diverse, compliquée qu’est la vie. Il la travaille et en la travaillant il la voit peu à peu prendre forme, il se dit : « tiens, ça donne certaines choses, ça produit certains effets. » Et il permet aux gens de faire ces expériences à travers lui, d’analyser leurs propres expériences à travers le siennes. » (Marguerite YOURCENAR, interrogée par Bernard Pivot, dans l’émission Apostrophes, France, réal. Nicolas Ribowski, chaîne Antenne 2, 7 déc. 1979.).
  • 29
    « Il existe une telle connexion entre toutes les facultés de l’homme, qu’en perfectionnant même son goût en littérature, on agit sur l’élévation de son caractère […] » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 1, 1799, Paris, éd. Maradan, p. x).
  • 30
    « En même temps qu’elle nous procure les jouissances les plus exquises, [la vraie littérature] satisfait les besoins les plus nobles de l’intelligence et du cœur ; elle élève les âmes et les agrandit. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 14).
  • 31
    « Mais quand je vois combien peu de gens lisent L’Iliade d’Homère, je prends plus gaiement mon parti d’être peu lu. » (Marguerite YOURCENAR, L’Œuvre au noir, 1968, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, p. 156).
  • 32
    « La lecture est réellement une seconde éducation qui supplée à l’insuffisance de la première. Celle-ci a plus pour but de nous mettre en état de nous former que de nous former en effet. Elle nous fournit en quelque sorte les matériaux et les instruments ; rarement s’occupe-t-elle de nous en indiquer l’usage, et plus rarement encore de nous guider dans le travail qu’elle nous laisse à faire. La connaissance de ce travail ne peut être que le fruit de l’expérience : mais l’expérience personnelle est souvent chère et toujours tardive ; il est donc utile de profiter de celle des autres. C’est dans les livres que celle-là se trouve. » (Pierre CHODERLOS DE LACLOS, Essai sur l’éducation des femmes, 1783, publié dans la Revue bleue, revue politique et littéraire, 23 mai 1908, n° 21, 5e série, Tome 9, pp. 643-648, spéc. p. 644).
  • 33
    « Peut-être distinguera-t-on à la fin de ce siècle deux classes d’hommes, les uns formés par la télévision, les autres par la lecture. » (Ernst JÜNGER, Soixante-dix s’efface II. 1971-1980, 1981, Paris, éd. Gallimard [1985], coll. du monde entier, trad. Henri Plard, p. 502).
  • 34
    « Quand une lecture nous élève l’esprit et qu’elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l’ouvrage : il est bon et fait de main d’ouvrier. » (LA BRUYÈRE, Les Caractères, 1688, Paris, éd. Flammarion [1880], p. 64).
  • 35
    « Les bonnes lectures d’imagination développent le tact dans les habitudes, le goût dans les appréciations, la noblesse dans les sentiments, la distinction du cœur, de l’esprit et des manières. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 96).
  • 36
    « [les fictions] ont une grande influence sur toutes les idées morales, lorsqu’elles émeuvent le cœur ; et ce talent est peut-être le moyen le plus puissant de diriger ou d’éclairer. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. p. 3).
  • 37
    « Le don d’émouvoir est la grande puissance des fictions ; on peut rendre sensibles presque toutes les vérités morales, en les mettant en action. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. p. 44).
  • 38
    « Elle [l’autorité du roman] provoque un processus de simulation mentale au cours duquel le lecteur est invité à expliquer, à prédire ou évaluer le comportement des personnages (ou du narrateur) à l’aune de ses propres schémas psychologiques, adaptés bien sûr aux contraintes fixées par l’auteur — profil et situation des personnages, contexte de l’action… Ce même processus lui permet de s’identifier à eux, ou de prendre ses distances, de ressentir des émotions qu’il partage avec eux ou qui naissent de sa perception de leur histoire. » (Christèle COULEAU, « Faire autorité : une ambition romanesque », dans Emmanuel BOUJU (dir.), L’autorité en littérature. Genèse d’un genre littéraire en Grèce, 2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, pp. 73-84, §16).
  • 39
    « Sous-genre littéraire apparu dans les années 2010 et devenu très populaire dans les années 2020, la « dark romance » (romance sombre) entre dans la catégorie des histoires d’amour malsaines, mettant en scène des relations parfois condamnées par la morale ou par la loi. […] La dark romance explore les zones grises de l’amour et du désir. Elle se définit par des histoires où les relations de pouvoir sont au cœur de la trame narrative, la plupart du temps marquées par une violence latente ou explicite entre les protagonistes […]. Dans ces romans les héroïnes se retrouvent fréquemment en situation de soumission face à des héros masculins dominants physiquement et/ou psychologiquement, récits souvent critiqués pour l’image ambiguë qu’ils véhiculent des relations amoureuses […] » (Magali BIGEY, « La « dark romance » : les ambiguïtés d’un genre littéraire qui fascine », The conversation [en ligne], 28 nov. 2024).
  • 40
    « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. » (Marcel PROUST, Le Temps retrouvé, 36e éd., 1927, Paris, éd. Gallimard, p. 70).
  • 41
    [À propos de ses lectures] « Soudain, des hommes de chair et d’os me parlaient, de bouche à oreille, d’eux-mêmes et de moi, ils exprimaient des aspirations, des révoltes que je n’avais pas su me formuler, mais que je reconnaissais. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, p. 179).
  • 42
    « Les différentes formes économiques revêtues par la société, l’esclavage, par exemple, et le salariat, ne se distinguent que par le mode dont ce surtravail est imposé et extorqué au producteur immédiat, à l’ouvrier. » (Karl MARX, Le Capital, 1867, Paris, éd. Lachâtre [1872], trad. Joseph Roy (révisée par l’auteur), chap. 9, p. 93).
  • 43
    « Au reste, si vous voulez lire avec fruit, lisez peu de livres, mais lisez-les bien, lentement, avec attention, revenant par la réflexion sur ce que vous avez lu, vous l’assimilant par une sorte de digestion spirituelle, produisant en même temps que vous recevez, joignant votre activité à cette puissance extérieure qui s’empare de votre âme, et gardant avec soin la liberté de votre esprit et de votre cœur sous cette force qui vous domine et tend à vous envahir. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 98).
  • 44
    « Quand j’admire un livre, c’est que j’y ai trouvé quelques phrases à mâchonner. » (Jean ROSTAND, Carnet d’un biologiste, 1959, Paris, éd. Stock, p. 112).
  • 45
    « Mes paysans sont d’excellents critiques ; ils jugent du blé comme on devrait juger des œuvres littéraires. Elles sont bien nourriture après tout, elles sont le pain des esprits et des volontés ; les meilleurs sont celles qui ajoutent quelque chose à la substance de l’âme, qui font les bras plus robustes et le sang plus généreux. » (Constantin LECIGNE, Du Dilettantisme à l’action, Tome 2, 1908, Paris, éd. Lethielleux, p. xii).
  • 46
    « Je m’abîmai dans la lecture comme autrefois dans la prière. La littérature prit dans mon existence la place qu’y avait occupé la religion : elle l’envahit tout entière, et la transfigura. Les livres que j’aimais devinrent une Bible où je puisais des conseils et des secours ; j’en copiai de longs extraits ; j’appris par cœur de nouveaux cantiques et de nouvelles litanies, des psaumes, des proverbes, des prophéties et je sanctifiai toutes les circonstances de ma vie en me récitant ces textes sacrés. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, p. 179).
  • 47
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Sanctifier, Théologie, 1.
  • 48
    Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], 1592, Paris, éd. Gallimard [2009], coll. Quarto, Livre I, chap. 39, p. 303.
  • 49
    « Prenant du recul sur sa vie, sur les jeux sociaux auxquels il participe, sur la comédie sociale qu’il anime, le lecteur — devenu entomologiste en lisant la notice — doit tout à coup se deviner, s’apercevoir, se reconnaître insecte. » (Valérie DEBRUT, « Le manifeste de la notice », écrire la règle du jeu [en ligne], 9 août 2017, §20).
  • 50
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Conscience, I, 3.
  • 51
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Recul, 2, Expression, Figuré.
  • 52
    Claudine SAMALIN-AMBOISE, « La prise de distance ou l’autre scène de l’implication », Bulletin de psychologie, 1986, Tome 39, n° 377, pp. 809-815, spéc. p. 811.
  • 53
    « La prise de distance fonctionne comme mécanisme de dégagement au sens où Lagache envisage cette opération comme « le désinvestissement de la contre-pulsion défensive, son ajournement, et en contre-partie, le « surinvestissement » de certaines pensées, lequel fait appel à l’attention et à la réflexion » […] » (Ibid., p. 813, citation de Daniel LAGACHE, L’unité de la psychologie, 1949, Paris, éd. PUF [1983], coll. Quadrige, p. 33).
  • 54
    « Que de consolations nous sont données par les écrits d’un certain ordre ! » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 1, 1799, Paris, éd. Maradan, p. xliij).
  • 55
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Soulager, 1, Verbe transitif.
  • 56
    « […] la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées […] » (DESCARTES, Le Discours de la méthode, 1637, Leyde (Pays-Bas), éd. Ian Maire, 1re partie, p. 7).
  • 57
    « […] les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » (Marcel PROUST, Le Temps retrouvé, 36e éd., 1927, Paris, éd. Gallimard, p. 52).
  • 58
    « La lecture est au seuil de la vie spirituelle ; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. » (Marcel PROUST, « Sur la lecture », La Renaissance latine (revue), avril/juin 1905, pp. 379-410, spéc. p. 395).
  • 59
    « Dans les déserts de l’exil, au fond des prisons, à la veille de périr, telle page d’un auteur sensible a relevé peut-être une âme abattue […] » (Mme DE STAËL, De la Littérature, 1re éd., Tome 1, 1799, Paris, éd. Maradan, p. xliv).
  • 60
    « Les bonnes lectures nourrissent la jeunesse de sucs généreux, charment la vieillesse en lui retraçant les grands exemples et les beaux souvenirs, apaisent l’âme dans le tumulte des affaires et lui sourient dans la retraite des champs. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 86).
  • 61
    « […] les âmes ardentes et sensibles […] se croiraient seules au monde, elles détesteraient bientôt leur propre nature qui les isole, si quelques ouvrages passionnés et mélancoliques ne leur faisaient pas entendre une voix dans le désert de la vie, ne leur faisaient pas trouver dans la solitude quelques rayons du bonheur qui leur échappe au milieu du monde ; ce plaisir de la retraite les repose des vains efforts des espérances trompées ; et quand tout l’univers s’agite loin de l’être infortuné, un écrit éloquent et tendre reste auprès de lui comme l’ami le plus fidèle, et celui qui le connaît le mieux. Oui, il a raison le livre qui donne seulement un jour de distraction à la douleur, il sert aux meilleurs des hommes. » (Mme DE STAËL, « Essai sur les fictions », Zulma et trois nouvelles, 1813, Londres, éd. Colburn, pp. 1-56, spéc. pp. 55-56).
  • 62
    « Ainsi, parce qu’il est spirituel et pénétré d’intelligence, le plaisir littéraire peut affranchir notre âme des servitudes du corps ; — et, parce qu’il est désintéressé, il contribue à réduire les passions égoïstes ; du moins il les neutralise. Mais surtout il éveille, fortifie et développe les inclinations généreuses. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 17).
  • 63
    « La lecture rétablit l’équilibre entre nos facultés et nos besoins. En rendant le mouvement à notre esprit, elle allège le poids de la vie. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, p. 88).
  • 64
    « D’une bonne prose, on doit exiger qu’elle chasse la crainte de la mort. » (Ernst JÜNGER, Graffiti/Frontalières, 1966, Paris, éd. Christian Bourgois [1977], coll. 10/18, trad. Henri Plard, p. 79).
  • 65
    « Cicéron, dans le Pro Archia [14-15], avoue que les lettres sont inspiratrices de courage et de générosité, qu’elles reposent l’âme, qu’elles fortifient l’esprit du jeune homme, qu’elles charment les jours attristés du vieillard, qu’elles sont un ornement dans la bonne fortune, et, dans la mauvaise, un refuge et une consolation. » (Abbé François MONTAGNON, Littérature et genres littéraires, 1897, Lyon, éd. Emmanuel Vitte, p. 13).
  • 66
    « Les livres sont des compagnons toujours disponibles. Vieillesse, solitude, oisiveté, ennui, douleur, anxiété : il n’est aucun mal ordinaire de la vie auxquels ils ne sachent fournir un remède, à condition que ces maux ne soient point trop vifs. Les livres modèrent les soucis, offrent un recours et un secours. » (Antoine COMPAGNON, Un été avec Montaigne, 2014, Paris, éd. des Équateurs / France Inter, p. 107).
  • 67
    « Parmi les goûts si divers que la Providence a départis aux humains, l’amour des livres est celui qui, après avoir donné, pendant la prospérité, les plus grandes, les plus véritables jouissances, ménage, pour toutes les peines de la vie, les plus douces, les plus pures, les plus durables consolations. » (Jean-Baptiste TENANT DE LATOUR, Mémoires d’un bibliophile, 1861, Paris, éd. Dentu, p. 251).
  • 68
    « Un autre avantage bien précieux des bons livres, c’est qu’ils nous mettent en rapport, en communauté de sentiments et d’idées avec les âmes les plus belles et les plus pures qui ont fait la gloire de la religion et de l’humanité. La lecture nous ouvre tous les siècles, tous les pays ; nous devenons par elle contemporains de tous les âges. Nous pouvons encore aujourd’hui nous entretenir avec les plus savants hommes de l’antiquité, qui semblent avoir vécu et travaillé pour nous. Nous trouvons en eux des maîtres que nous pouvons consulter en tout temps, des amis qui sont de toutes les heures et qui peuvent être de toutes nos parties, dont la conversation, toujours utile, toujours agréable, nous enrichit de mille connaissances curieuses et intéressantes. » (Jean-Joseph HUGUET, Des délassements permis aux personnes pieuses appelées à vivre dans le monde, 4e éd., 1859, Lyon, éd. Girard & Josserand, pp. 89-90).
  • 69
    « […] les mots et les cadences, les vers, les versets ne me servaient pas à feindre : mais ils sauvaient du silence toutes ces intimes aventures dont je ne pouvais parler à personne ; entre moi et les âmes sœurs qui existaient quelque part, hors d’atteinte, ils créaient une sorte de communion ; au lieu de vivre ma petite histoire particulière, je participais à une grande épopée spirituelle. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, pp. 179-180).
  • 70
    « Malgré leur conformisme, les livres élargissaient mon horizon ; en outre, je m’enchantais en néophyte de la sorcellerie qui transmute les signes imprimés en récit ; le désir me vint d’inverser cette magie. Assise devant une petite table, je décalquai sur le papier des phrases qui serpentaient dans ma tête : la feuille blanche se couvrait de taches violettes qui racontaient une histoire. Autour de moi, le silence de l’antichambre devenait solennel : il me semblait que j’officiais. » (Simone DE BEAUVOIR, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958, Paris, éd. Gallimard, coll. Soleil, p. 54).
  • 71
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Diagonale, Locution adverbiale.