L’ordinateur, fétiche des modernes

1. Une machine

1. Au quotidien, les modernes utilisent des technologies qu’ils ne maîtrisent pas. Ce qu’ils en comprennent, c’est le fonctionnement de l’interface — dispositif conçu par des humains pour d’autres humains, afin de permettre à l’utilisateur de faire fonctionner la machine.

Dans une personnalisation des automates et des engins, on parle même d’interaction entre l’Homme et l’appareil — il est vrai que la technologie a pris une telle importance dans la vie de tous les jours qu’elle en est devenue familière. Passons.

2. Un ordinateur est une machine électronique qui procède à l’exécution automatique d’opérations de calcul1« L’utilisation des ordinateurs repose sur le principe que tout calcul compliqué peut être décomposé en une suite d’opérations plus simples, susceptibles d’être exécutées automatiquement. » (Danièle DROMARD et François PÊCHEUX, « Ordinateurs », Encyclopædia Universalis, consulté le 25 nov. 2021)..

Cela dit, un équipement informatique étant bien plus qu’une machine à calculer, le français n’a pas retenu les termes « calculateur » ni « computeur » mais bien ordinateur — le mot ayant, selon son instigateur, cet avantage de se trouver « dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. »2Jacques PERRET (professeur de philologie), Lettre à Christian de Waldner (président d’IBM France), le 16 avril 1955, à Paris.

3. Inventé au cours du XXe siècle, l’ordinateur est devenu si incontournable qu’on en trouve partout, dans les avions et les voitures, les maisons et les téléphones — à bien y réfléchir, un smartphone est un ordinateur de poche qui permet accessoirement de téléphoner.

Au demeurant, il est amusant que ce soit le téléphone qui ait servi de « prétexte », plutôt que la montre ou l’agenda, à l’envahissement du quotidien par l’ordinateur.

4. Pour l’utilisateur, la vraie révolution fut d’ailleurs la possession d’un ordinateur de poche connecté en permanence au réseau mondial — les êtres humains qui viendront ensuite ne pourront imaginer le bouleversement provoqué quasiment du jour au lendemain par l’apparition du premier iPhone (écran tactile, appareil photo, géolocalisation, messagerie, internet, applications, etc.).

5. Aujourd’hui, on prend des photos que l’on s’envoie ou poste sur les réseaux, on enregistre sa voix, on prend des notes, on envoie un message, on consulte les horaires d’un magasin, on lit un article, on cherche une référence, on trouve une réponse, on achète une place de cinéma, on regarde une vidéo, on mesure le temps de cuisson des œufs à la coque, bref on fait tout ou presque avec un accessoire qui tient dans la main — accessoire est d’ailleurs le juste mot tant l’ordinateur portatif (montre, téléphone, tablette ou portable) est devenu le prolongement de la personnalité.

6. Vraiment, « l’exécution automatique de certaines opérations de l’esprit et le traitement automatique de l’information »3Pierre CHAUNU, « La modernité, qu’est-ce que c’est ? », Études & recherches d’Auteuil, 20 fév. 1996. auront fait gagner un temps considérable et multiplié les possibilités dans tous les domaines.

Si ces écrits (notices et livre) n’auraient pu voir le jour sans l’ordinateur portable connecté à l’internet (dictionnaires, livres et articles du monde entier accessibles en un temps record), ce n’est pas simplement pour le confort d’une autrice qui préfère travailler sur son lit plutôt qu’à une table.

7. C’est parce que l’ordinateur — qui combine le processeur de la calculatrice, le clavier de la machine à écrire, l’écran de la télévision, les ondes de la radio (Wi-Fi), la capacité d’enregistrement du disque et la puissance de reproduction de l’imprimerie —, l’ordinateur permet la consultation de contenus et la prise de notes, la recherche d’expressions dans les documents, la numérotation automatique des paragraphes, la gestion des notes de bas de page (ou notes flottantes sur ce site), la génération automatique de la table des matières et la fonction rechercher-remplacer, magique, qui autorise d’innombrables recoupements, corrections et ajustements.

Ah ! Si Balzac avait eu l’ordinateur pour écrire sa Comédie humaine

2. Un langage

8. Le progrès technique n’est pas neuf : l’innovation fait nécessairement loi dans un monde projeté vers l’avant. Mais l’avènement des hautes technologies — robotique, numérique, génétique — crée bien une rupture. Puces, ordinateurs, réseaux : tout est bouleversé. Plus récent, le progrès technologique est aussi plus contraignant, plus complexe et plus invasif que le progrès technique.

Contraignant car le refus du numérique (ou simplement l’illectronisme, l’illettrisme numérique) signifie l’exclusion sociale ; complexe car l’ordinateur exige adaptation, éducation et formation des utilisateurs ; invasif car les technologies s’insinuent partout, questionnent les internautes et répandent les données.

9. Or, tous les objets programmés et connectés — qui constituent ce qu’on appelait naguère (il « n’y a guère » de temps) les « nouvelles technologies » — ont une particularité : ils ont en commun d’avoir du langage en eux4 « Qu’est-ce que ça veut dire technologie ? Ça veut dire — d’une certaine façon, en tirant un peu le sens —, ça veut dire « qui a du langage en lui ». » (Clarisse HERRENSCHMIDT, « Demain, l’écriture », conférence, 7 nov. 2007, Université de Bordeaux Segalen)., en l’occurrence du code qui est — après les langues et les nombres — un troisième type d’écriture5« Le code constitue le langage chiffré de traduction dont se sert la machine pour écrire à sa façon tout ce que l’utilisateur y fait pénétrer et qu’elle est préparée à recevoir. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. II)..

Un ordinateur est une machine qui transforme des informations à la vitesse de l’éclair6« L’ordinateur est une machine électronique à programmes enregistrés, qui fonctionne de façon séquentielle, en une succession d’états physiques, selon le passage ou l’absence du courant électrique : c’est une machine à états discrets ; doté de mémoires, il effectue des opérations très complexes, variées et en grand nombre, en les réduisant en leurs unités opératoires minimales, et ce dans un temps très bref, sans intervention humaine extérieure et avec exactitude. Là résident sa puissance, sa supériorité par rapport aux compétences des humains : exactitude — qui tient à son aspect logiciel plus qu’à ses composants matériels — et vitesse. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 393)., c’est-à-dire qui traduit et stocke — en suites de 0 et de 17« Avec l’informatique, nous sommes entrés dans l’univers des éléments microscopiques de la matière, puisque c’est le flux des électrons qui matérialise 0 et 1 et, d’une curieuse façon, signifie. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 454). — absolument tout ce qui peut s’écrire : les langues (mots), les nombres (chiffres), les images — fixes (photos) ou mobiles (vidéos) —, la musique (sons), la monnaie (valeurs).

10. Pour la première fois dans l’histoire humaine, un seul support — la machine informatique — contient virtuellement tout ce qui peut s’écrire, se transcrire, se coder — raison pour laquelle l’époque actuelle est le théâtre d’une véritable révolution graphique, d’une mutation profonde dans les modes d’écrire.

À cet égard, il est remarquable que, dès l’invention de l’ordinateur, il se soit agi d’imiter le fonctionnement du cerveau8« S’il [Alan Turing] eut bel et bien l’idée de « fabriquer un cerveau », comme le dit son biographe, sous la forme d’une machine, celle-ci, loin de consister en une chose qui ressemblât physiquement à son modèle, devait en avoir les structures logiques ; il s’attacha aux « analogies mathématiques de fonction », mémoire, apprentissage et calcul, tant et si bien que le cerveau qu’il imagina devait pouvoir apprendre, changer sa table d’instructions, devenir organisé comme s’organise par l’éducation le cerveau a priori inorganisé des enfants. C’est ainsi que, pour dire un calculateur électronique, Turing l’appela « cerveau électronique ». » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 442)., de créer une machine qui soit une externalisation des possibilités cérébrales : mémoire, calcul, apprentissage9« Dès le départ, […] l’ordinateur a été pensé comme un cerveau électronique. [Ses inventeurs ont fait] une relation de base, fondatrice entre le cerveau (organe humain) et l’ordinateur (cerveau électronique). […] Il s’agit de l’externalisation de l’organe cérébral, de l’organe de pensée, de l’organe de mémoire, et sa projection dans un artefact qui est une machine à signes. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, « Demain, l’écriture », conférence, 7 nov. 2007, Université de Bordeaux Segalen)..

11. Au fond, un ordinateur est une « machine à décisions »10« L’ordinateur a répondu à un problème posé, en déclarant qu’il avait une solution et en la donnant : c’est une machine à décisions. C’est en cela qu’elle nous soulage de certaines tâches et c’est encore en cela qu’elle fait peur ou suscite d’imaginaires spiritualités sur fond magique, car la décision automatique se fait dans l’invisible des circuits. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 408). — une machine à prendre des décisions bien sûr (l’ordinateur règle des problèmes et trouve des solutions), mais également une machine à poser des questions (l’usage d’un ordinateur suppose de faire constamment d’innombrables choix binaires11« Un ordre de pensée s’incarne dans l’informatique, bien plus fortement duel que celui de l’expression linguistique, et sans cesse l’utilisateur répond, avec son clavier, à des questions binaires en oui/non — même si les manipulations n’apparaissent pas comme telles. […] si l’informatique transforme nos usages d’écriture et de lecture, elle transforme aussi — surtout ? — nos pratiques de pensée dans le sens de la réponse réflexe à toute question en oui/non. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 407 et 408). : ouvrir ou fermer, traiter ou ignorer, cliquer ou ne pas cliquer).

C’est ainsi que le clic (le fait d’actionner le dispositif de pointage) est désormais un acte politique : refuser de cliquer sur un article ou une publicité, c’est rejeter dans l’abîme réticulaire (les catacombes du réseau) ce qui n’aurait jamais dû en sortir12« Tout ce que nous bloguons, twittons, et tout ce sur quoi que nous cliquons est un acte public de création de médias. Nous sommes les nouveaux éditeurs. Nous décidons de ce qui mérite notre attention en nous basant sur ce à quoi nous prêtons attention. Voilà comment fonctionnent les médias aujourd’hui. Ce sont tous ces algorithmes cachés qui décident de ce que nous voyons davantage en fonction de ce sur quoi nous cliquons, et en retour, c’est ce qui définit toute notre culture. » (Sally KOHN, « Vous n’aimez pas les pièges à clics ? Ne cliquez pas », conférence TED, 9 juil. 2014, New York)..

12. Insensiblement, l’usage quotidien des ordinateurs a changé le comportement des individus (impulsivité, versatilité, superficialité). Le survol et l’éparpillement ruinent les capacités d’analyse sans pour autant développer l’esprit de synthèse.

Si le livre imprimé demeure indispensable à toute éducation, c’est qu’il propose au lecteur un cheminement initiatique, le fruit d’une réflexion qui est l’essence de la vie intellectuelle. Le raisonnement est tout dans le développement cognitif — raisonnement qui procède d’une suite d’étapes, d’un enchaînement logique dont toute interruption saperait la validité.

13. L’autrice n’aurait pu réaliser un tel travail sans l’ordinateur, oui. Mais c’est dans les livres qu’elle a appris à penser — dans les romans classiques, dans les manuels scolaires, dans les codes juridiques. Aussi prodigieux soit-il, l’ordinateur — portable ou smartphone — n’est jamais qu’un outil13« Il faut affirmer qu’il n’y a rien de plus stupide qu’un ordinateur, tas de composants électroniques parcouru par un courant électrique auquel seule l’intelligence humaine donne une signification et une valeur. Coupez le courant, l’ordinateur n’est qu’une boîte. Il nous faut réapprendre à considérer les techniques comme des outils au service du travail. Et donc mettre le travail des hommes en premier. C’est l’homme et lui seul qui donne le sens de son travail et qui doit en avoir la responsabilité. La première conversion est donc d’ordre spirituel : elle conduit à choisir son maître. » (Pierre-Yves GOMEZ, « Il nous faut une doctrine alternative au récit néolibéral », entretien avec Johannes Herrmann et Foucauld Guiliani, Revue Limite, n° 4, oct. 2016, p. 76)., ce que le fétichisme contemporain oublie volontiers14« Les voies d’Apple (à l’instar de celles du Seigneur) sont-elles impénétrables ? Gageons que non, bien qu’elles soient délibérément secrètes. En tout cas, ses produits jouissent pour la grande majorité de leurs adeptes d’un indéniable « supplément d’âme » (Bergson, 1932), le rapport entretenu avec Apple, rarement rationnel, oscillant entre dévotion, fétichisation et ritualisation. » (Pascal LARDELLIER, « Un anthropologue à l’Apple Store », Questions de communication, n° 23, 2013, §10)..

Or l’outil n’est nullement neutre, qui travaille le sujet (son intelligence et son corps) autant que l’objet (la matière ou le produit, en l’occurrence les informations et documents).

14. Imposant à l’utilisateur son fonctionnement binaire, écartant toute vraie manipulation physique — alors que la main est le prolongement de l’esprit —, l’ordinateur standardise, uniformise, déshumanise.

Les technologies assistent l’Homme, dit-on ; elles lui facilitent la tâche, sans doute. Mais l’écriture manuscrite s’épanouit hors cadre ; elle procure le goût de la page blanche et l’angoisse de la liberté.

Références

Illustrations

  • Trois mosaïques de 300/325, Constantine (Algérie), Musée du Louvre, Paris (MA 1792, MA 1791, MA 1793).
  • 1
    « L’utilisation des ordinateurs repose sur le principe que tout calcul compliqué peut être décomposé en une suite d’opérations plus simples, susceptibles d’être exécutées automatiquement. » (Danièle DROMARD et François PÊCHEUX, « Ordinateurs », Encyclopædia Universalis, consulté le 25 nov. 2021).
  • 2
    Jacques PERRET (professeur de philologie), Lettre à Christian de Waldner (président d’IBM France), le 16 avril 1955, à Paris.
  • 3
    Pierre CHAUNU, « La modernité, qu’est-ce que c’est ? », Études & recherches d’Auteuil, 20 fév. 1996.
  • 4
    « Qu’est-ce que ça veut dire technologie ? Ça veut dire — d’une certaine façon, en tirant un peu le sens —, ça veut dire « qui a du langage en lui ». » (Clarisse HERRENSCHMIDT, « Demain, l’écriture », conférence, 7 nov. 2007, Université de Bordeaux Segalen).
  • 5
    « Le code constitue le langage chiffré de traduction dont se sert la machine pour écrire à sa façon tout ce que l’utilisateur y fait pénétrer et qu’elle est préparée à recevoir. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. II).
  • 6
    « L’ordinateur est une machine électronique à programmes enregistrés, qui fonctionne de façon séquentielle, en une succession d’états physiques, selon le passage ou l’absence du courant électrique : c’est une machine à états discrets ; doté de mémoires, il effectue des opérations très complexes, variées et en grand nombre, en les réduisant en leurs unités opératoires minimales, et ce dans un temps très bref, sans intervention humaine extérieure et avec exactitude. Là résident sa puissance, sa supériorité par rapport aux compétences des humains : exactitude — qui tient à son aspect logiciel plus qu’à ses composants matériels — et vitesse. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 393).
  • 7
    « Avec l’informatique, nous sommes entrés dans l’univers des éléments microscopiques de la matière, puisque c’est le flux des électrons qui matérialise 0 et 1 et, d’une curieuse façon, signifie. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 454).
  • 8
    « S’il [Alan Turing] eut bel et bien l’idée de « fabriquer un cerveau », comme le dit son biographe, sous la forme d’une machine, celle-ci, loin de consister en une chose qui ressemblât physiquement à son modèle, devait en avoir les structures logiques ; il s’attacha aux « analogies mathématiques de fonction », mémoire, apprentissage et calcul, tant et si bien que le cerveau qu’il imagina devait pouvoir apprendre, changer sa table d’instructions, devenir organisé comme s’organise par l’éducation le cerveau a priori inorganisé des enfants. C’est ainsi que, pour dire un calculateur électronique, Turing l’appela « cerveau électronique ». » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 442).
  • 9
    « Dès le départ, […] l’ordinateur a été pensé comme un cerveau électronique. [Ses inventeurs ont fait] une relation de base, fondatrice entre le cerveau (organe humain) et l’ordinateur (cerveau électronique). […] Il s’agit de l’externalisation de l’organe cérébral, de l’organe de pensée, de l’organe de mémoire, et sa projection dans un artefact qui est une machine à signes. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, « Demain, l’écriture », conférence, 7 nov. 2007, Université de Bordeaux Segalen).
  • 10
    « L’ordinateur a répondu à un problème posé, en déclarant qu’il avait une solution et en la donnant : c’est une machine à décisions. C’est en cela qu’elle nous soulage de certaines tâches et c’est encore en cela qu’elle fait peur ou suscite d’imaginaires spiritualités sur fond magique, car la décision automatique se fait dans l’invisible des circuits. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 408).
  • 11
    « Un ordre de pensée s’incarne dans l’informatique, bien plus fortement duel que celui de l’expression linguistique, et sans cesse l’utilisateur répond, avec son clavier, à des questions binaires en oui/non — même si les manipulations n’apparaissent pas comme telles. […] si l’informatique transforme nos usages d’écriture et de lecture, elle transforme aussi — surtout ? — nos pratiques de pensée dans le sens de la réponse réflexe à toute question en oui/non. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 407 et 408).
  • 12
    « Tout ce que nous bloguons, twittons, et tout ce sur quoi que nous cliquons est un acte public de création de médias. Nous sommes les nouveaux éditeurs. Nous décidons de ce qui mérite notre attention en nous basant sur ce à quoi nous prêtons attention. Voilà comment fonctionnent les médias aujourd’hui. Ce sont tous ces algorithmes cachés qui décident de ce que nous voyons davantage en fonction de ce sur quoi nous cliquons, et en retour, c’est ce qui définit toute notre culture. » (Sally KOHN, « Vous n’aimez pas les pièges à clics ? Ne cliquez pas », conférence TED, 9 juil. 2014, New York).
  • 13
    « Il faut affirmer qu’il n’y a rien de plus stupide qu’un ordinateur, tas de composants électroniques parcouru par un courant électrique auquel seule l’intelligence humaine donne une signification et une valeur. Coupez le courant, l’ordinateur n’est qu’une boîte. Il nous faut réapprendre à considérer les techniques comme des outils au service du travail. Et donc mettre le travail des hommes en premier. C’est l’homme et lui seul qui donne le sens de son travail et qui doit en avoir la responsabilité. La première conversion est donc d’ordre spirituel : elle conduit à choisir son maître. » (Pierre-Yves GOMEZ, « Il nous faut une doctrine alternative au récit néolibéral », entretien avec Johannes Herrmann et Foucauld Guiliani, Revue Limite, n° 4, oct. 2016, p. 76).
  • 14
    « Les voies d’Apple (à l’instar de celles du Seigneur) sont-elles impénétrables ? Gageons que non, bien qu’elles soient délibérément secrètes. En tout cas, ses produits jouissent pour la grande majorité de leurs adeptes d’un indéniable « supplément d’âme » (Bergson, 1932), le rapport entretenu avec Apple, rarement rationnel, oscillant entre dévotion, fétichisation et ritualisation. » (Pascal LARDELLIER, « Un anthropologue à l’Apple Store », Questions de communication, n° 23, 2013, §10).