George Sand épistolière

« Charité envers les autres ;
Dignité envers soi-même ;
Sincérité devant Dieu.
Telle est l’épigraphe du livre que j’entreprends
15 avril 1847. »1George SAND, Histoire de ma vie, Tome 1, 1854, Paris, éd. Lecou.

1. Jeunes gens qui trouvez la vie aussi insipide que compliquée, ignorez-vous pouvoir recourir à ces secours merveilleux que sont les biographies et les correspondances ? Sans doute les romans sont-ils plaisants mais hormis quelques chefs-d’œuvre, ils manquent de chair et de consistance.

2. Les biographies et, plus encore, les correspondances — les lettres échangées au cours d’une vie par des personnages célèbres, telles George Sand ou Mme de Sévigné — évitent l’écueil de superficialité avec panache, tant l’épanchement est de règle dans les relations épistolaires.

3. Immense écrivaine et grande épistolière devant l’éternel, George Sand écrivit des milliers de lettres, à tout bout de champ et à tout propos : en ce temps-là, la tenue d’une correspondance était une obligation sociale ; hommes et femmes devaient savoir converser par écrit en toutes circonstances.

« J’écris facilement et avec plaisir ; c’est ma récréation ; car la correspondance est énorme, et c’est là le travail. Vous savez cela. Si on n’avait à écrire qu’à ses amis ! Mais que de demandes touchantes ou saugrenues ! Toutes les fois que je peux quelque chose, je réponds. Ceux pour lesquels je ne peux rien, je ne réponds rien. Quelques-uns méritent que l’on essaye, même avec peu d’espoir de réussir. Il faut alors répondre qu’on essayera. Tout cela, avec les affaires personnelles, dont il faut bien s’occuper quelquefois, fait une dizaine de lettres par jour. C’est le fléau ; mais qui n’a le sien ? »2George SAND, Lettre à Louis Ulbach, 26 novembre 1869, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome V, 1884, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 330-331.

À droite, Marie Dorval, actrice (1798-1849)
À gauche, lettre de George Sand à Marie Dorval (1833)

4. De 1812 (elle avait huit ans et s’adressait à sa mère) à 1876 (s’arrêtant d’écrire à la fin du mois de mai, elle devait s’éteindre le 8 juin), George Sand n’a eu de cesse de raconter ses déboires, de rire d’elle-même, de réchauffer les cœurs.

5. Collectionnant les anecdotes piquantes et autres traits d’esprit, adressant lorsque cela était nécessaire quelques reproches bien sentis, à un éditeur déloyal3« Il m’est revenu de source certaine que vous disiez avoir en votre possession un ouvrage de moi qu’il vous était difficile de publier, à cause des opinions qui y sont émises. Vous savez mieux que personne que vous n’avez pas une ligne de moi à publier, et cet étrange mensonge me rappelle la tentative ou du moins l’intention déloyale que vous avez eue de publier sous mon nom, il y a un an, un ouvrage qui n’était pas de moi. […] Je n’ai d’autre raison de vous ménager que la répugnance naturelle que j’éprouve à commettre un acte d’hostilité et à punir un mauvais procédé. Je vous prie donc de m’épargner cette pénible tâche et de ne pas m’en faire une nécessité. » (George SAND, Lettre à M. de Potter, éditeur, 10 mai 1845, à Paris, op. cit., Tome II, p. 335 et 336). autant qu’à un ami4« Mon ami, fâchez-vous contre moi tant que vous voudrez. Pour la première fois, je vais vous faire un reproche. Vous avez mal fait de provoquer ce crime commis envers vous. Vous voyez, je ne mâche pas le mot, c’est un crime, s’il est vrai qu’on vous accuse de lâcheté, de trahison, d’ambition même. » (George SAND, Lettre à Joseph Mazzini, 23 mai 1852, à Nohant, op. cit., Tome III, p. 328)., n’hésitant guère plus à éconduire les apprentis écrivains qui se montraient trop pressants dans leurs sollicitations5« Si vous êtes pressée de savoir mon opinion, je suis tout à fait désolée ; car je vais être forcée de numéroter votre manuscrit au 153. C’est-à-dire que j’ai 153 manuscrits à lire, qui m’ont été envoyés depuis six mois par des personnes inconnues, et c’est ainsi tous les ans. » (George SAND, Lettre à Melle H. L., oct. 1849, à Nohant, op. cit., Tome III, p. 174). : telle à la plume qu’en son cœur.

« Ainsi je dois une réponse à madame d’Agoult, soit verbale, soit écrite. Je la ferai courte, mais ferme, sans colère et sans fiel d’ailleurs, vous pouvez m’en croire ! La méchanceté d’une femme ne m’a jamais émue. C’est quelque chose que j’observe froidement, en me disant qu’il faut voir un peu de tout, pour écrire des romans de mœurs. C’est un métier qui n’égaie pas, mais qui rend très calme. »6George SAND, Lettre à Charlotte Mariani, le 28 septembre 1839, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. Mai 1837-mars 1840, Tome IV, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 759.

À gauche, Marie d’Agoult, écrivaine (1805-1876)
À droite, Franz Liszt, musicien (1811-1886)

5. Toutes les douceurs et douleurs de l’existence s’y trouvent et s’y mêlent : d’innombrables préoccupations d’argent, les affres de la célébrité, un goût sûr pour le patois, des descriptions de paysage, des ruptures amoureuses, de la passion, de la vie.

6. On doit mentionner la dimension historique de cette correspondance : le spectacle de 1848 puis les désillusions, les tâtonnements idéologiques du siècle, les interventions pour des prisonniers politiques auprès des grands de ce monde, le prince Jérôme ou l’impératrice Eugénie.

« Cher enfant,

Envoyez-moi deux ou trois feuilles de papier ministre, à pétition, avec enveloppes ad hoc. Il faut écrire à l’impératrice sur ce papier-là et je demande deux ou trois feuilles et enveloppes en cas de ratures ; car j’y suis sujette et il n’en faut pas trop. Envoyez-moi aussi une ou deux enveloppes encore plus grandes pour contenir l’envoi et le faire passer, par Damas-Hinard, secrétaire des commandements de ladite souveraine. C’est un homme charmant, qui plaide les bonnes causes auprès d’elle.

Maintenant, cela ne réussira peut-être pas. J’ai déjà beaucoup demandé pour des désastres semblables. On ne m’a pas encore refusé ; essayons encore. Je vais faire le résumé. Envoyez-moi le papier dans un petit carton, pour que Nicolas ne m’apporte pas ça chiffonné et sali. »7George SAND, Lettre à Charles Poncy, 24 avril 1861, à Tamaris, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome IV, 1883, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 248-249.

À gauche, Honoré de Balzac, écrivain (1799-1850)
À droite, Gustave Flaubert, écrivain (1821-1880)

7. En ces pages, elle se montre plus sincère encore que dans son autobiographie8« Moi, j’ai entrepris un ouvrage de longue haleine, intitulé Histoire de ma vie. C’est une série de souvenirs, de professions de foi et de méditations, dans un cadre dont les détails auront quelque poésie et beaucoup de simplicité. Ce ne sera pourtant pas toute ma vie que je révélerai. Je n’aime pas l’orgueil et le cynisme des confessions, et je ne trouve pas qu’on doive ouvrir tous les mystères de son cœur à des hommes plus mauvais que nous, et, par conséquent, disposés à y trouver une mauvaise leçon au lieu d’une bonne. » (George SAND, Lettre à Charles Poncy, 14 déc. 1847, à Nohant, op. cit., Tome II, p. 377-378)., sous un jour en tout cas plus pittoresque : l’intendance y tient une part importante, ce qui fait de cette correspondance une mine d’informations pour les historiens du XIXe siècle.

8. Saviez-vous que George Sand utilisait une brosse à dents et donnait des conseils médicaux à ses amis9Voyez les extraits en bas de la notice. ? Des conseils, en veux-tu en voilà : elle en donne à une riche amie oisive, à son fils (oisif également), au précepteur de ses enfants, à ses amis, à ses amants, à tout le monde.

9. Attachante, a-t-on dit, quand elle cherche à élever ses interlocuteurs ou les réprimande avec bonté, le tout agrémenté d’un humour rare, bon enfant ou plus fin, parfois incisif : elle maniait l’ironie avec brio.

« J’aime tout ce qui caractérise un milieu, le roulement des voitures et le bruit des ouvriers à Paris, les cris de mille oiseaux à la campagne, le mouvement des embarcations sur les fleuves. J’aime aussi le silence absolu, profond, et, en résumé, j’aime tout ce qui est autour de moi, n’importe où je suis ; c’est de l’idiotisme auditif, variété nouvelle. Il est vrai que je choisis mon milieu et ne vais pas au Sénat, ni autres mauvais lieux. »10(George SAND, Lettre à Gustave Flaubert, 21 juin 1868, à Nohant, dans Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert, 1904, Paris, éd. Calmann-Lévy, p. 120).

À gauche, Jeanne Arnould-Plessy, actrice (1819-1897)
À droite, Pauline Viardot, cantatrice (1821-1910)

10. La lecture de George Sand distrait, apaise, instruit ; elle réconforte au plus profond de l’être. Émile Littré n’a, semble-t-il, pas jugé utile de la citer trop abondamment dans son dictionnaire, ce qui ne l’a pas empêché d’être reçu avec sa femme à Nohant.

11. Il a pourtant copieusement pioché dans la correspondance de Mme de Sévigné… Mais les femmes des siècles passés sont toujours moins coupables que celles des temps présents11« L’écrivain original, tant qu’il n’est pas mort, est toujours scandaleux ; la nouveauté inquiète et indispose […] » (Simone DE BEAUVOIR, Le Deuxième sexe, Tome 2, 1949, Paris, éd. Gallimard, p. 551).. Âme belle et généreuse, George lui écrivit pour le féliciter de son dictionnaire ; c’était mérité.

« Tout le monde vous remercie. La vieille George Sand veut vous remercier aussi. Vous avez plus fait pour la France que ses grands rois. Grâce à vous, notre esprit se pose sur le vrai sens de toutes les notions humaines. Chaque jour, en ouvrant au hasard votre dictionnaire, on se dégage d’une erreur ou d’une affirmation dans une vérité. Ce sera le grand pas du 19ème siècle. »12George SAND, Lettre à Émile Littré, le 8 janvier 1873, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 23, 1964, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 379.

« Madame, J’ai été très sensible à ce que vous avez bien voulu m’écrire. Dans ces longs travaux, c’est le travail lui-même qui est le but et qui soutient, mais quand ils sont achevés, la récompense est dans les approbations bonnes et spontanées. Votre témoignage me fait espérer que mon livre sera d’une utilité générale. J’en accepte l’augure, et j’ajoute que si ce n’est pas avec des dictionnaires qu’on fait des écrivains tels que vous, c’est avec des écrivains tels que vous, c’est à dire nos bons écrivains de tous temps, qu’on met dans un dictionnaire de l’instruction, et même du charme. »13Émile LITTRÉ, Lettre à George Sand, le 15 janvier 1873, Ibid.

À gauche, Émile Littré, lexicographe (1801-1881)
À droite, Eugénie, impératrice (1826-1920)

12. Une correspondance générale en six tomes est téléchargeable sur Gallica. Publiée par ses enfants, elle est largement tronquée mais donne un excellent échantillon du talent de l’écrivaine. La correspondance de référence a été donnée par Georges Lubin aux Classiques Garnier (25 tomes, 1060 euros).

13. Sur Gallica, on trouve des correspondances particulières : une correspondance amoureuse avec Alfred de Musset (les manuscrits sont visibles ici ; un autre volume y adjoint la correspondance avec Sainte-Beuve), une correspondance littéraire avec Gustave Flaubert (publiée depuis au Passeur), une correspondance familiale avec sa fille Solange.

14. La correspondance avec Marie d’Agoult a fait l’objet d’une publication chez Bartillat en 2004 ; celles avec Eugène Delacroix, Victor Hugo et Emmanuel Arago ont été publiées au Passeur, respectivement en 2019, 2021 et 2022.

À gauche, Eugène Delacroix, peintre (1798-1863)
À droite, Frédéric Chopin, musicien (1810-1849)

15. Le Passeur a également donné sa correspondance féminine (sa grand-mère, sa mère, ses amies de couvent, Marie d’Agoult, Pauline Viardot, Marie Dorval) en 2021 sous le titre J’aime mes amis avec tendresse, avec engouement, avec aveuglement. Lettres aux femmes de sa vie.

16. Gallimard a publié en 2004 un volume de Lettres retrouvées et un autre de lettres choisies (Lettres d’une vie, édition de Thierry Bodin) ; de Nouvelles lettres retrouvées paraissent aux éditions du Passeur en 2023.

« Il y avait au moins dix ans que je n’avais lu un seul roman contemporain. J’avais cessé brusquement et résolument cette lecture, parce que je m’apercevais que c’était une mauvaise nourriture pour moi. Mais enfin je me suis dit, ces jours derniers, qu’il fallait se remettre au courant, qu’il était impossible que mes confrères n’eussent pas fait de grands progrès, que puisqu’on les payait si cher et qu’on les lisait tant, certes, j’avais à faire aussi mon profit de cette somme d’esprit et de talents. Je vous jure que de très bonne foi, très naïvement, très humblement, aimant et cherchant l’art comme un docile écolier, je me suis mise à l’œuvre. J’ai lu du [Théophile] Gautier, du [Alexandre] Dumas, du [Joseph] Méry, du [Eugène] Sue, du [Frédéric] Soulié, etc. Ah ! mon ami, quelles savates ! J’en suis consternée, et plus que cela affligée, peinée, attristée à un point que je ne pouvais prévoir et que je ne saurais dire. Quel style, quelle grossièreté, quelle emphase ridicule, quelle langue, quels caractères faux, quelle boursouflure de froide passion, de sensiblerie guindée, quelle littérature de fanfarons et de casseurs d’assiettes ! »14(George SAND, Lettre à Eugène Delacroix, le 28 septembre 1845, à Nohant, dans George SAND & Eugène DELACROIX, Je serais folle de vous si je ne l’étais d’un autre. Correspondance, 2019, Paris, éd. du Passeur, pp. 174-175).

À droite, Victor Hugo, écrivain (1802-1885)
À gauche, lettre de George Sand à Victor Hugo (1862)

Illustrations

À gauche, George Sand par Charpentier (à 34 ans)
À droite, George Sand par Couture (à 46 ans)

Pour marcher sur les pas de George

Autres extraits

— Conseil médical

« Tu feras tomber la croûte du petit en appliquant le soir pendant deux ou trois nuits, un léger cataplasme émolliant. Je me servais de carottes cuites réduites en pâte. Le matin on enlève ce cataplasme et on enduit de cold-cream ou d’huile d’amandes douces, d’un corps gras quelconque pour que la croûte ne sèche pas. Au bout de deux ou trois jours, elle se soulève d’elle-même et on l’enlève doucement avec le peigne ou la brosse. Je présume que sous la croûte il n’y a pas de mal. Cela arrive quelque fois, la croûte s’attache trop à la tête, creuse, et il se fait une suppuration en dessous. Dans ce cas, il faut employer le même procédé, faire tomber la croûte avec les cataplasmes et aussitôt sécher avec la pommade camphrée. Mais ne pas exciter par le frottement de la brosse. »15George SAND, Lettre à Augustine de Bertholdi, le 22 avril 1850, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 25, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 722.

— Soin des dents

« Permettez-moi de vous donner quelques commissions. Il y a longtemps que je ne vous ai embêté, comme dit Pauline, et ce serait dommage d’en perdre l’habitude. Ayez la bonté de m’acheter trois ou quatre petites boîtes de poudre de corail pour les dents, comme celle que vous m’avez donnée une fois […] »16George SAND, Lettre à M. Caron, le 1er octobre 1829, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome 1, 1883-1884, Paris, éd. Calmann Lévy, p. 75.

« Envoyez vite […] Un pot de pommade à la vanille, un flacon d’eau de Botot pour les dents [maison qui existe toujours], une brosse à dents dans votre passage vous savez quelle brosse, dure un peu au milieu, et douce au bord. »17George SAND, Lettre à Jules Boucoiran, le 14 décembre 1834, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 2, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 763.

— Liste de courses

« Envoyez vite, et vite, 4 lb. [livres soit 4 fois 500 grammes environ] de tabac du Levant 2) une très grande boîte de cachou à l’ambre (Place de la Bourse, chez le confiseur) ce n’est que là qu’il est bon)., 3 une pipe courte, allemande, à réservoir de faïence blanche que vous trouverez dans la petite armoire noire près de la fenêtre, premier rayon sous des paperasses : — 4, quelques capsules de terre turque, non dorées, que vous trouverez dans l’autre armoire, 24 cahiers de papier à cigarettes, 5° une petite provision de paquitas, que vous chargerez Gustave [Papet] d’acheter ; 6° — une bobine d’or et une d’argent pour broder, au Père de Famille au coin de la rue Dauphine et la petite rue d’Anjou. N’allez pas ailleurs, ce n’est que là que la soie est tordue convenablement, c’est à dire peu ; 7°) un volume de la Revue des deux mondes que j’ai prêté à Mme Allart et qu’elle a peut-être renvoyé chez moi après mon départ. Gustave est amoureux d’elle, si le volume est chez elle, chargez-le d’aller le lui demander [rue] de Mondovi n° 3. Achetez-moi enfin une paire de pantoufles dans le genre que vous voudrez, mais très jolies et bien justes à mon pied. Vous trouverez pour modèle des souliers chez moi, et un très bon cordonnier fabricant [sic] de charmantes pantoufles, r[ue] des Saints Pères près de chez moi. […] Et voilà, ne tardez pas, car le tabac manque. »18George SAND, Lettre à Jules Boucoiran, le 14 décembre 1834, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 2, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 763.

À gauche, Maurice Sand, son fils (1823-1889)
À droite, Lina Calamatta, sa belle-fille (1842-1901)

— Conseil équestre

« Ne sois pas imprudent avec ton petit cheval ; songe que tu n’es pas encore un bien fameux cavalier, et ne galope pas trop fort dans les sables. Il y a quelquefois en travers des sentiers, des racines qu’on ne peut pas voir et dans lesquelles les chevaux se prennent les pieds. Alors le meilleur cheval peut s’abattre et vous lancer en avant, comme Emmanuel, qui a fait, devant toi, une si dure cabriole. Mon pauvre père a été tué comme cela. Je sais bien que, si on pensait à tous ces accidents qui peuvent arriver, on ne ferait jamais rien et qu’on serait d’une poltronnerie stupide. Mais il y a une dose de prudence et de bon sens qui se concilie très bien avec la hardiesse et le plaisir. Tu sais mon système là-dessus. Je suis très brave et je ne me fais jamais de mal ; c’est une habitude à prendre. Tout cela, c’est pour te dire de tenir toujours bien ton cheval en main, de ne pas te porter en avant quand tu galopes. Le poids du corps du cavalier en arrière donne de la force et de l’attention aux jarrets du cheval, et de la liberté à ses épaules. Enfin, il faut multiplier les points de contact, comme dit cet admirable M. Génot. »19George SAND, Lettre à son fils, le 20 septembre 1840, à Paris, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome 2, 1883, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 159-160.

— Leçon de morale

 « Eh bien, si vous étiez un peu moins jeune, si vous aviez plus d’habitude de rencontrer de ces gens à chaque pas (c’est là en quoi consiste ce qu’on appelle expérience), si vous aviez examiné tout en les jugeant, vous seriez beaucoup moins sévère pour eux, sans cesser d’être rigidement vertueux pour vous-même.

Considérez que vous avez vingt ans, que la plupart des gens dont les travers vous choquent ont vécu trois ou quatre fois votre âge, ont passé par mille épreuves dont vous ne savez pas encore comment vous sortiriez, ont manqué peut-être de tous les moyens de salut, de tous les exemples, de tous les secours qui pouvaient les ramener ou les préserver. Que savez-vous si vous n’eussiez pas fait pis à leur place, et voyez ce qu’est l’homme livré à lui-même ?

Observez-vous avec sévérité, avec attention, pendant une journée seulement ! Vous verrez combien de mouvements de vanité misérable, d’orgueil rude et fou, d’injuste égoïsme, de lâche envie, de stupide présomption, sont inhérents à notre abjecte nature ! combien les bonnes inspirations sont rares ! comme les mauvaises sont rapides et habituelles ! C’est cette habitude qui nous empêche de les apercevoir, et, pour ne pas nous y être livrés, nous croyons ne les avoir pas ressentis. Demandez-vous ensuite d’où vous vient le pouvoir de les réprimer ; pouvoir qui vous est devenu une habitude et dont le combat n’est plus sensible que dans les grandes occasions. « C’est ma conscience, direz-vous. Ce sont mes principes. »

Croyez-vous que ces principes vous fussent venus d’eux-mêmes sans les soins que votre mère et tous ceux qui ont travaillé à votre éducation ont pris à vous les inculquer ? Et maintenant vous oubliez que ce sont eux qu’il faut bénir et glorifier, et non pas vous, qui êtes un ouvrage sorti de leurs mains ! Ayez donc plutôt compassion de ceux à qui le secours a été refusé et qui, livrés à leur propre impulsion, se sont fourvoyés sans savoir où ils allaient. Ne les recherchez pas ; car leur société est toujours déplaisante et peut-être dangereuse à votre âge ; mais ne les haïssez pas. Vous verrez, en y réfléchissant, que la bienveillance, qu’on appelle communément amabilité, consiste non pas à tromper les hommes, mais à leur pardonner. »20George SAND, Lettre à Jules Boucoiran, le 22 mars 1850, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome 1, 1883-1884, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 95-97.

— Lettre de rupture

« Non, non, c’est assez ! Pauvre malheureux, je t’ai aimé comme mon fils. C’est un amour de mère. J’en saigne encore. Je te plains, je te pardonne tout, mais il faut nous quitter. J’y deviendrais méchante. Tu dis que cela vaudrait mieux et que je devrais te souffleter quand tu m’outrages. Je ne sais pas lutter. Dieu m’a faite douce et cependant fière. Mon orgueil est brisé à présent, et mon amour n’est plus que de la pitié. Je te le dis, il faut en guérir. Sainte-Beuve a raison. Ta conduite est déplorable, impossible. Mon Dieu à quelle vie vais-je te laisser ? L’ivresse, le vin, les filles, et encore, et toujours ! Mais puisque je ne peux plus rien pour t’en préserver, faut-il prolonger cette honte pour moi et ce supplice pour toi-même ? Mes larmes t’irritent. Ta folle jalousie, à tout propos, au milieu de tout cela ! Plus tu perds le droit d’être jaloux, plus tu le deviens ! Cela ressemble à une punition de Dieu sur ta pauvre tête. Mais mes enfans à moi. Oh ! Mes enfans, mes enfans ! Adieu, adieu, malheureux que tu es. »21(George SAND, Lettre à Alfred de Musset, dans Correspondance de George Sand et d’Alfred de Musset, 1904, Bruxelles, éd. Deman, pp. 180-181).

Deux photographies supposément de George, encore jeune et jolie

  • 1
    George SAND, Histoire de ma vie, Tome 1, 1854, Paris, éd. Lecou.
  • 2
    George SAND, Lettre à Louis Ulbach, 26 novembre 1869, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome V, 1884, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 330-331.
  • 3
    « Il m’est revenu de source certaine que vous disiez avoir en votre possession un ouvrage de moi qu’il vous était difficile de publier, à cause des opinions qui y sont émises. Vous savez mieux que personne que vous n’avez pas une ligne de moi à publier, et cet étrange mensonge me rappelle la tentative ou du moins l’intention déloyale que vous avez eue de publier sous mon nom, il y a un an, un ouvrage qui n’était pas de moi. […] Je n’ai d’autre raison de vous ménager que la répugnance naturelle que j’éprouve à commettre un acte d’hostilité et à punir un mauvais procédé. Je vous prie donc de m’épargner cette pénible tâche et de ne pas m’en faire une nécessité. » (George SAND, Lettre à M. de Potter, éditeur, 10 mai 1845, à Paris, op. cit., Tome II, p. 335 et 336).
  • 4
    « Mon ami, fâchez-vous contre moi tant que vous voudrez. Pour la première fois, je vais vous faire un reproche. Vous avez mal fait de provoquer ce crime commis envers vous. Vous voyez, je ne mâche pas le mot, c’est un crime, s’il est vrai qu’on vous accuse de lâcheté, de trahison, d’ambition même. » (George SAND, Lettre à Joseph Mazzini, 23 mai 1852, à Nohant, op. cit., Tome III, p. 328).
  • 5
    « Si vous êtes pressée de savoir mon opinion, je suis tout à fait désolée ; car je vais être forcée de numéroter votre manuscrit au 153. C’est-à-dire que j’ai 153 manuscrits à lire, qui m’ont été envoyés depuis six mois par des personnes inconnues, et c’est ainsi tous les ans. » (George SAND, Lettre à Melle H. L., oct. 1849, à Nohant, op. cit., Tome III, p. 174).
  • 6
    George SAND, Lettre à Charlotte Mariani, le 28 septembre 1839, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. Mai 1837-mars 1840, Tome IV, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 759.
  • 7
    George SAND, Lettre à Charles Poncy, 24 avril 1861, à Tamaris, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome IV, 1883, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 248-249.
  • 8
    « Moi, j’ai entrepris un ouvrage de longue haleine, intitulé Histoire de ma vie. C’est une série de souvenirs, de professions de foi et de méditations, dans un cadre dont les détails auront quelque poésie et beaucoup de simplicité. Ce ne sera pourtant pas toute ma vie que je révélerai. Je n’aime pas l’orgueil et le cynisme des confessions, et je ne trouve pas qu’on doive ouvrir tous les mystères de son cœur à des hommes plus mauvais que nous, et, par conséquent, disposés à y trouver une mauvaise leçon au lieu d’une bonne. » (George SAND, Lettre à Charles Poncy, 14 déc. 1847, à Nohant, op. cit., Tome II, p. 377-378).
  • 9
    Voyez les extraits en bas de la notice.
  • 10
    (George SAND, Lettre à Gustave Flaubert, 21 juin 1868, à Nohant, dans Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert, 1904, Paris, éd. Calmann-Lévy, p. 120).
  • 11
    « L’écrivain original, tant qu’il n’est pas mort, est toujours scandaleux ; la nouveauté inquiète et indispose […] » (Simone DE BEAUVOIR, Le Deuxième sexe, Tome 2, 1949, Paris, éd. Gallimard, p. 551).
  • 12
    George SAND, Lettre à Émile Littré, le 8 janvier 1873, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 23, 1964, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 379.
  • 13
    Émile LITTRÉ, Lettre à George Sand, le 15 janvier 1873, Ibid.
  • 14
    (George SAND, Lettre à Eugène Delacroix, le 28 septembre 1845, à Nohant, dans George SAND & Eugène DELACROIX, Je serais folle de vous si je ne l’étais d’un autre. Correspondance, 2019, Paris, éd. du Passeur, pp. 174-175).
  • 15
    George SAND, Lettre à Augustine de Bertholdi, le 22 avril 1850, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 25, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 722.
  • 16
    George SAND, Lettre à M. Caron, le 1er octobre 1829, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome 1, 1883-1884, Paris, éd. Calmann Lévy, p. 75.
  • 17
    George SAND, Lettre à Jules Boucoiran, le 14 décembre 1834, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 2, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 763.
  • 18
    George SAND, Lettre à Jules Boucoiran, le 14 décembre 1834, à Nohant, dans George SAND, Correspondance par Lubin, Tome 2, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 763.
  • 19
    George SAND, Lettre à son fils, le 20 septembre 1840, à Paris, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome 2, 1883, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 159-160.
  • 20
    George SAND, Lettre à Jules Boucoiran, le 22 mars 1850, à Nohant, dans George SAND, Correspondance. 1812-1876, Tome 1, 1883-1884, Paris, éd. Calmann Lévy, pp. 95-97.
  • 21
    (George SAND, Lettre à Alfred de Musset, dans Correspondance de George Sand et d’Alfred de Musset, 1904, Bruxelles, éd. Deman, pp. 180-181).