La morale, une règle du jeu

1. Tempérer les ardeurs. Le terme de morale dérive du mot « mœurs », autrement dit des « habitudes dans tout ce qui regarde la conduite de la vie, considérées sous l’angle du bien et du mal, de la morale, de la bienséance. »1Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Mœurs, 1. La morale est donc un ensemble de règles de vie (intime et sociale), assorties de leur justification.

En clair, une morale — puisqu’il en existe de nombreuses : la morale chrétienne, la morale épicurienne, la morale nihiliste, la morale cynique, etc. — indique, pour celui qui veut bien s’y soumettre (ou auquel le groupe l’impose…), lui indique à la fois ce qu’il doit faire et pourquoi il doit le faire.

Une (bonne) morale ouvre une porte vers la spiritualité ; elle comble l’Homme dans son besoin de se comprendre, de se dominer, de se dépasser.

1. Un mode d’emploi

— La morale descriptive

2. Expliquer la vie. Dans une perspective purement moralisatrice, la morale pèse les actes, siffle les fautes, juge le monde ; dans une optique plus pragmatique, elle montre les possibilités, indique les conséquences, donne des repères.

En cela, elle apparaît comme un mode d’emploi de l’existence, exposant les situations sociales, les conflits intérieurs, les passions affectives. La morale parle de la maladie et de la santé, de l’argent et de la violence, de la sexualité et de la famille, de la vieillesse et de la mort…

Tout autour de la Terre, de grands moralistes ont délivré à leurs contemporains des préceptes de bon sens et des érudits ont œuvré à extraire, de la gangue du cirque social, de justes principes2« […] la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées […] ». (René DESCARTES, Le discours de la méthode, 1637, Leyde (Pays-Bas), impr. Ian Maire, 1ère partie, p. 7).. Léguées par les siècles, ces leçons forment un condensé de la sagesse du monde et constituent le vrai trésor de l’humanité3« Les proverbes sont le fruit de l’expérience de tous les peuples, et comme le bon sens de tous les siècles réduit en formules. » (Antoine RIVAROL, Esprit de Rivarol, 1808 [posthume], Paris, [pas d’éditeur], p. 72)..

3. Canaliser les instincts. Le monde est trop vaste pour qu’on y voie clair, et les Hommes trop inconstants pour se gouverner d’instinct4« Si toutes les directions sont offertes à l’enfant, ou au grand enfant qu’est l’adulte, il va se perdre en expériences malheureuses : on doit canaliser son énergie, orienter ses découvertes. » (Odon VALLET, Petite grammaire de l’érotisme divin, 1998, Paris, éd. Albin Michel [2005], coll. Espaces libres, p. 8-9).. Les tentations et les mirages vont bon train, induisent en erreur, cabossent les destinées.

Le plus souvent, on paie ses fautes non pas comptant, mais à crédit. Et cet ajournement — désastreux pour l’ego — fait croire à l’impunité5« Lorsque la sanction d’un méfait n’est pas immédiatement exécutée, l’envie de faire le mal monte au cœur des fils d’Adam. » (La Bible, Ancien Testament, L’Ecclésiaste, chap. 8, verset 11).. La morale doit mettre en garde contre la poudre jetée aux yeux. Elle rappelle les règles immuables6« Pour contribuer véritablement au bonheur des hommes, il faut leur éclairer l’entendement ; il faut fortifier leur volonté dans l’exercice des vertus, c’est à dire dans l’habitude d’agir suivant la raison, et il faut tâcher enfin d’ôter les obstacles qui les empêchent de prouver la vérité et de suivre les véritables biens. » (LEIBNIZ, « Mémoire pour les personnes éclairées et de bonne intention », 1692, dans Lettres et opuscules inédits, 1854, Paris, Ladrange, p. 279, §12). dont la sanction finit par rattraper le tricheur et mener à sa perte…

Ces propos — peu réjouissants, j’en conviens — ne sont pas ceux d’une rabat-joie ni d’une peine-à-jouir, mais le conseil avisé d’une femme qui sait que tout être et, avec lui, ses pulsions doivent être canalisés. De grâce, méfiez-vous de vous-même et tenez votre orgueil en laisse ! Ne soyez pas votre meilleur ennemi7« L’amour-propre est un si étrange conseiller qu’il nous arrive cent fois par jour d’être, grâce à lui, en pleine contradiction avec nous-mêmes. » (George SAND, « Lavinia » (nouvelle), 1833, dans Œuvres de George Sand, 1844, Paris, éd. Perrotin, p. 275)..

« J’ai de la vanité, et je ne suis pas fait pour la règle. Je ne serai donc pas moine et je resterai voyageur sur la terre, satisfaisant ma vanité quand il me plaira, me débarrassant d’elle quand elle voudra m’asservir. Car la vanité est le plus despote et le plus inique des maîtres, et je ne prendrai jamais l’engagement d’être l’esclave de mon propre vice. »8 (George Sand, Teverino, Tome II, 1846, Paris, éd. Desessart, p. 208-209).

2. Un livre de recettes

— La morale inventive

4. Constituer un répertoire. La vie quotidienne apportant son lot de questions et de nécessités, il faut sans cesse trouver une solution, improviser une réponse, bricoler une trouvaille.

La lecture des livres de morale — l’Ancien Testament, les Lettres à Lucilius9SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, 63-64 ap. J.-C., Rome antique., Candide ou l’Optimisme10VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme, 1759, Genève, éd. Cramer. — dote le lecteur de nombreuses références et, progressivement, lui permet d’établir un inventaire des grandes vérités et des petites astuces11« Les paroles des sages sont des aiguillons et les recueils de dictons, des clous bien plantés — présents d’un incomparable Berger. » (La Bible, Ancien Testament, L’Ecclésiaste, chap. 12, verset 11)..

Certains bouquins se transmettent ainsi, entre amis ou gens d’une même famille, comme des cadeaux, des présents d’autant plus précieux que la lecture est un acte profondément intime.

5. Inventer des solutions. La nature humaine étant invariable et l’histoire un éternel recommencement, les préceptes moraux qui viennent d’autres cultures ou d’autres époques12Par exemple, la pensée sauvage, le nomadisme mongol, la philosophie confucéenne. peuvent éclairer d’un jour nouveau un problème bien vivant.

Les modes de vie sont des réponses circonstancielles à des questions universelles : comment vivre, comment faire, comment agir ? Mais les leçons de choses ont disparu et les parents n’enseignent pas toujours aux enfants les vertus cardinales.

Les guides, les magazines et tutoriels13« À chaque interrogation, sa réponse en images, et en quelques minutes, du plus pratique au plus farfelu : comment réparer une porte de machine à laver ? Réussir sa pâte feuilletée ? Pêcher le brochet au vif ? Se faire un massage du ligament latéral externe de la cheville ? Des yeux de chat avec du Scotch ? Un faux œil crevé pour Halloween ? » (Catherine ROLLOT et Pascale KRÉMER, « « Tutos », la vie mode d’emploi », Le monde, 7 novembre 2014.)., les émissions de télé-réalité, avis de consommateurs ou démonstrations diverses y suppléent tant bien que mal14« Je suis lucide : tant qu’il n’y aura rien d’autre, la pub prendra toute la place. Elle est devenue le seul idéal. Ce n’est pas la nature, c’est l’espérance qui a horreur du vide. » (Frédéric BEIGBEDER, 99 Francs, 2000, Paris, éd. Grasset, p. 139).. La publicité, aussi, et la pornographie tiennent lieu de morale publique15« Regardez les murs de la ville : ils regorgent d’écrits et d’images qui nous disent comment mieux vivre, comment être nous-mêmes, comment devenir moraux. Pour qui sait la regarder, la publicité est porteuse de la morale publique. » (Emanuele COCCIA, Le bien dans les choses, 2013, Paris, éd. Payot et Rivages, coll. Bibliothèque Rivages, Quatrième de couverture).. Car la nature ayant horreur du vide, tout discours utile, descriptif ou simplement alléchant fait désormais office de morale…

Références

— Livres

— Divers

Illustrations

  • José Ferraz DE ALMEIDA JÚNIOR, Saudade, Pinacothèque de l’État de São Paulo (Brésil). Voir en détail.
  • José Ferraz DE ALMEIDA JÚNIOR, Lecture, 1899, Pinacothèque de l’État de São Paulo (Brésil).
  • José Ferraz DE ALMEIDA JÚNIOR, Fille avec un livre, 19e s., Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand (Brésil).
  • José Ferraz DE ALMEIDA JÚNIOR, Caipira coupant le tabac, 1893, Pinacothèque de l’État de São Paulo (Brésil). Voir en détail.
  • 1
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Mœurs, 1.
  • 2
    « […] la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées […] ». (René DESCARTES, Le discours de la méthode, 1637, Leyde (Pays-Bas), impr. Ian Maire, 1ère partie, p. 7).
  • 3
    « Les proverbes sont le fruit de l’expérience de tous les peuples, et comme le bon sens de tous les siècles réduit en formules. » (Antoine RIVAROL, Esprit de Rivarol, 1808 [posthume], Paris, [pas d’éditeur], p. 72).
  • 4
    « Si toutes les directions sont offertes à l’enfant, ou au grand enfant qu’est l’adulte, il va se perdre en expériences malheureuses : on doit canaliser son énergie, orienter ses découvertes. » (Odon VALLET, Petite grammaire de l’érotisme divin, 1998, Paris, éd. Albin Michel [2005], coll. Espaces libres, p. 8-9).
  • 5
    « Lorsque la sanction d’un méfait n’est pas immédiatement exécutée, l’envie de faire le mal monte au cœur des fils d’Adam. » (La Bible, Ancien Testament, L’Ecclésiaste, chap. 8, verset 11).
  • 6
    « Pour contribuer véritablement au bonheur des hommes, il faut leur éclairer l’entendement ; il faut fortifier leur volonté dans l’exercice des vertus, c’est à dire dans l’habitude d’agir suivant la raison, et il faut tâcher enfin d’ôter les obstacles qui les empêchent de prouver la vérité et de suivre les véritables biens. » (LEIBNIZ, « Mémoire pour les personnes éclairées et de bonne intention », 1692, dans Lettres et opuscules inédits, 1854, Paris, Ladrange, p. 279, §12).
  • 7
    « L’amour-propre est un si étrange conseiller qu’il nous arrive cent fois par jour d’être, grâce à lui, en pleine contradiction avec nous-mêmes. » (George SAND, « Lavinia » (nouvelle), 1833, dans Œuvres de George Sand, 1844, Paris, éd. Perrotin, p. 275).
  • 8
    (George Sand, Teverino, Tome II, 1846, Paris, éd. Desessart, p. 208-209).
  • 9
    SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, 63-64 ap. J.-C., Rome antique.
  • 10
    VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme, 1759, Genève, éd. Cramer.
  • 11
    « Les paroles des sages sont des aiguillons et les recueils de dictons, des clous bien plantés — présents d’un incomparable Berger. » (La Bible, Ancien Testament, L’Ecclésiaste, chap. 12, verset 11).
  • 12
    Par exemple, la pensée sauvage, le nomadisme mongol, la philosophie confucéenne.
  • 13
    « À chaque interrogation, sa réponse en images, et en quelques minutes, du plus pratique au plus farfelu : comment réparer une porte de machine à laver ? Réussir sa pâte feuilletée ? Pêcher le brochet au vif ? Se faire un massage du ligament latéral externe de la cheville ? Des yeux de chat avec du Scotch ? Un faux œil crevé pour Halloween ? » (Catherine ROLLOT et Pascale KRÉMER, « « Tutos », la vie mode d’emploi », Le monde, 7 novembre 2014.).
  • 14
    « Je suis lucide : tant qu’il n’y aura rien d’autre, la pub prendra toute la place. Elle est devenue le seul idéal. Ce n’est pas la nature, c’est l’espérance qui a horreur du vide. » (Frédéric BEIGBEDER, 99 Francs, 2000, Paris, éd. Grasset, p. 139).
  • 15
    « Regardez les murs de la ville : ils regorgent d’écrits et d’images qui nous disent comment mieux vivre, comment être nous-mêmes, comment devenir moraux. Pour qui sait la regarder, la publicité est porteuse de la morale publique. » (Emanuele COCCIA, Le bien dans les choses, 2013, Paris, éd. Payot et Rivages, coll. Bibliothèque Rivages, Quatrième de couverture).