La Préhistoire, fabrique de l’humanité

1. La Préhistoire commence avec l’apparition du genre Homo — un genre dont l’Homo sapiens (c’est-à-dire vous-même) est une espèce — et s’achève avec les débuts de l’écriture vers 3 500 av. J.-C.

Elle s’étend sur près de trois millions d’années et se joue sur toutes les terres du globe : l’Afrique, l’Eurasie, les Amériques et l’Océanie. Autant dire que les coordonnées des temps préhistoriques sont floues.

2. La période court sur deux ères géologiques distinctes : le Pléistocène1Plus exactement, les tout débuts de la Préhistoire prennent leurs racines dans le Pliocène (qui s’étend de -5,332 à -2,588 millions d’années)., une longue époque de glaciations couvrant la majeure partie de la Préhistoire et, depuis 12 000 ans, l’Holocène2Désormais, les scientifiques considèrent que, depuis le XIXe ou le XXe siècle, la planète est entrée dans une nouvelle ère géologique directement imputable aux activités humaines : l’anthropocène, qui met donc fin à l’Holocène., une période interglaciaire — donc plus chaude — caractérisée par la fonte des glaces et la remontée du niveau des océans3Auxquelles correspondent probablement les récits et mythes de déluge, tels que l’arche de Noé..

Ce changement climatique a modifié les habitudes de vie des Hommes préhistoriques, forgeant deux grandes ères : le Paléolithique (l’âge de la pierre taillée) et le Néolithique (l’âge de la pierre polie)4Ces deux périodes peuvent encore être divisées en cinq tranches : le Paléolithique inferieur, moyen et supérieur, le Mésolithique et le Néolithique. « Reste le problème de savoir si l’histoire est une et continue ou sectionnée en compartiments ? ou encore : s’il faut vraiment découper l’histoire en tranches ? » (Jacques LE GOFF, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, 2014, Paris, éd. du Seuil, Quatrième de couverture)..

1. Le Paléolithique

3. Cette très longue période de trois millions d’années est marquée par l’évolution biologique du genre Homo et l’apparition d’Homo sapiens il y a 300 000 ans. C’est une époque véritablement ancestrale et, par conséquent, très difficile à se représenter : il reste peu de vestiges et l’existence d’Homo avant sapiens est aux antipodes de la vie actuelle.

4. Ces Hommes d’alors vivent « immergés dans la nature, sur le même plan que les autres espèces biologiques »5Jean-Paul DEMOULE, La révolution néolithique, 2013, Paris, éd. Le Pommier, Cité des sciences et de l’industrie, p. 7.. Ils ne produisent pas de nourriture ; ils se contentent de ce qu’ils ont alentour, fouinant et farfouillant, se déplaçant continuellement, suivant les troupeaux, glanant des feuilles, déterrant des racines.

5. Ce sont des chasseurs-cueilleurs nomades, qui vivent par petits groupes de quelques dizaines d’individus, de perpétuels migrants sur une Terre qui n’appartient encore à personne, c’est-à-dire à tous6Il faut dès à présent introduire la distinction entre mobilité nomade — celle du Mésolithique — et mobilité migratoire, cette dernière étant véritablement caractéristique du Paléolithique : l’abandon d’un territoire du fait de variations climatiques (les glaciations) et/ou de l’épuisement des ressources. Cf. Jacques LEGRAND, « Migrations ou nomadisme. La glaciation comme révélateur des modèles historiques de mobilité », Diogène (revue), avril-juin 2007, n° 218, pp. 116-123).. Dans cette économie de prédation (par opposition à celle de production qui naîtra au Néolithique), la densité de population est très faible. Il faut de larges espaces pour nourrir finalement peu de monde.

6. Pourtant, au cours de ces milliers de millénaires, se développe une importante industrie lithique : on ramasse des cailloux et des galets, on les percute et on les taille pour façonner toutes sortes d’outils. On utilise aussi du bois et des restes d’animaux (os, tendons) pour transformer ce qu’on trouve autour de soi et fabriquer des objets, établir un campement, décorer son corps.

7. Ces dizaines de milliers de siècles antédiluviens se confondent avec ce qu’est l’état normal de l’être humain : la vie nomade des chasseurs-cueilleurs.

La fin de cette ère de l’ancienne pierre — c’est le sens étymologique du mot paléolithique — voit la domestication du feu, qui va encore permettre le perfectionnement des outils et, surtout, donner une nouvelle profondeur à la vie sociale : grâce aux flammes, on tient plus facilement les prédateurs à distance ; le soir, on veille ensemble autour du foyer, on raconte des histoires, on crée des mondes imaginaires…

2. Le Néolithique

8. Après ces temps immémoriaux, ces temps dépliés qui n’en finissaient pas de s’étendre et se détendre, s’ouvre le Néolithique, l’ère de la nouvelle pierre, la pierre polie et non plus simplement taillée. Petit à petit, la domestication et la sélection des espèces animales et végétales vont transformer toute la vie des communautés.

9. L’élevage et l’agriculture engendrent une économie de production : en faisant se reproduire les animaux et les végétaux, on fabrique sa propre nourriture. On peut ainsi nourrir plus de personnes. Mais les champs et les bêtes exigent un soin constant, ce qui demande de l’organisation et transforme les modes de vie.

10. Se fixer à la terre puis la travailler : les chasseurs-cueilleurs nomades du Paléolithique7C’est de là que vient le régime alimentaire actuel dit « paléo » qui supprime les céréales, les produits laitiers et le sucre, tous apparus à l’époque néolithique ou plus tard, pour se concentrer sur les viandes et les poissons, les fruits et les légumes, seuls disponibles aux chasseurs-cueilleurs. laissent peu à peu la place aux agro-pasteurs sédentaires du Néolithique. C’est là le changement le plus capital qu’ait connu l’humanité. Car la sédentarisation a entraîné l’agriculture, l’émergence des premières villes, l’invention de la céramique, le développement de l’architecture et, finalement, la naissance de l’écriture.

11. Toutes ces innovations se sont passées en un temps tellement court — quelques millénaires seulement — qu’on parle de « révolution » néolithique. Il est vrai qu’en un rien de temps, le décor a complètement changé : huttes, foyers, poteries, animaux domestiques, plantations diverses… On bivouaquait dans la nature, on vit désormais au village.

3. La fabrique de l’être humain

12. Ce panorama synthétique ne rend évidemment pas compte du foisonnement débordant, des migrations incessantes, de la multitude de transformations silencieuses qu’ont été les temps préhistoriques. Le genre Homo n’a pas surgi de nulle part, proprement, en tirant un fil depuis les (autres) singes jusqu’à lui8« Il est certes très difficile, pour qui entreprend des observations aussi bien sur les restes fossiles que sur les êtres vivants qui peuplent encore la terre, de ne pas se laisser influencer par la vision d’une lente progression dirigée vers la réalisation d’un être parfait, l’image idéale de l’Homme lui-même. / La nature aurait ainsi procédé par essais et erreurs, comme un artiste habile, de l’esquisse à l’œuvre de plus en plus accomplie, constamment en quête de perfection. Cette idée de finalité est en nous parce que nos actions se déroulent généralement en fonction d’un but. Nous avons du mal à concevoir que, pour le déroulement d’un phénomène extérieur à nous, il puisse en être autrement. » (Jean-Jacques PETTER, Le propre du singe, 1984, Paris, éd. Fayard, coll. Le temps des sciences).. Il s’est peu à peu séparé d’autres lignées, qui elles aussi ont continué d’évoluer9« […] aucun des êtres vivants qui nous entourent aujourd’hui n’est un de nos ancêtres, tous sont nos contemporains. » (Jean-Claude AMEISEN, « La mort au cœur du vivant », Revue française de psychosomatique, vol. 32, n° 2, 2007, pp. 11-44, §61)..

13. Génération après génération, Homo s’est taillé une place à part dans le règne animal ; il s’est grandi par chaque pas qu’il faisait, sculpté par chaque geste qu’il esquissait, raconté par chaque phonème qu’il combinait. Sur trois millions d’années, l’être humain n’a eu de cesse de s’arracher à lui-même.

14. Mais il n’a pas éclos comme une rose perce le fumier. Cet Homme en devenir a façonné l’argile de son existence, modelé la matière animale dont il était fait. Il a fallu braver la faim qui creuse la chair et la soif qui étrangle la gorge, combattre la peur incessante des êtres toujours aux aguets, fuir la sécheresse et le froid, déjouer les attaques et embuscades, souffrir mille maladies et blessures.

15. Cet entêtement à vouloir survivre, cet acharnement sans répit s’est mêlé d’une extravagante quête de sens, quand chaque bruissement, chaque craquement interpelle et alarme.

Références

Illustrations

  • 1
    Plus exactement, les tout débuts de la Préhistoire prennent leurs racines dans le Pliocène (qui s’étend de -5,332 à -2,588 millions d’années).
  • 2
    Désormais, les scientifiques considèrent que, depuis le XIXe ou le XXe siècle, la planète est entrée dans une nouvelle ère géologique directement imputable aux activités humaines : l’anthropocène, qui met donc fin à l’Holocène.
  • 3
    Auxquelles correspondent probablement les récits et mythes de déluge, tels que l’arche de Noé.
  • 4
    Ces deux périodes peuvent encore être divisées en cinq tranches : le Paléolithique inferieur, moyen et supérieur, le Mésolithique et le Néolithique. « Reste le problème de savoir si l’histoire est une et continue ou sectionnée en compartiments ? ou encore : s’il faut vraiment découper l’histoire en tranches ? » (Jacques LE GOFF, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, 2014, Paris, éd. du Seuil, Quatrième de couverture).
  • 5
    Jean-Paul DEMOULE, La révolution néolithique, 2013, Paris, éd. Le Pommier, Cité des sciences et de l’industrie, p. 7.
  • 6
    Il faut dès à présent introduire la distinction entre mobilité nomade — celle du Mésolithique — et mobilité migratoire, cette dernière étant véritablement caractéristique du Paléolithique : l’abandon d’un territoire du fait de variations climatiques (les glaciations) et/ou de l’épuisement des ressources. Cf. Jacques LEGRAND, « Migrations ou nomadisme. La glaciation comme révélateur des modèles historiques de mobilité », Diogène (revue), avril-juin 2007, n° 218, pp. 116-123).
  • 7
    C’est de là que vient le régime alimentaire actuel dit « paléo » qui supprime les céréales, les produits laitiers et le sucre, tous apparus à l’époque néolithique ou plus tard, pour se concentrer sur les viandes et les poissons, les fruits et les légumes, seuls disponibles aux chasseurs-cueilleurs.
  • 8
    « Il est certes très difficile, pour qui entreprend des observations aussi bien sur les restes fossiles que sur les êtres vivants qui peuplent encore la terre, de ne pas se laisser influencer par la vision d’une lente progression dirigée vers la réalisation d’un être parfait, l’image idéale de l’Homme lui-même. / La nature aurait ainsi procédé par essais et erreurs, comme un artiste habile, de l’esquisse à l’œuvre de plus en plus accomplie, constamment en quête de perfection. Cette idée de finalité est en nous parce que nos actions se déroulent généralement en fonction d’un but. Nous avons du mal à concevoir que, pour le déroulement d’un phénomène extérieur à nous, il puisse en être autrement. » (Jean-Jacques PETTER, Le propre du singe, 1984, Paris, éd. Fayard, coll. Le temps des sciences).
  • 9
    « […] aucun des êtres vivants qui nous entourent aujourd’hui n’est un de nos ancêtres, tous sont nos contemporains. » (Jean-Claude AMEISEN, « La mort au cœur du vivant », Revue française de psychosomatique, vol. 32, n° 2, 2007, pp. 11-44, §61).