Le jardin, un paradis clos

1. L’art des jardins

1. Délimitation. Le jardin est un terrain généralement clos où l’on cultive des végétaux sélectionnés et ordonnés. Il consiste en une portion de nature aménagée, rangée, plus exactement domestiquée et humanisée, c’est-à-dire « disposée de façon à servir au plaisir de l’homme. »1Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne].

C’est à la fois une image et une mise en ordre du monde2« le jardin a l’ambition d’être une image du monde ; il fait servir à ses fins la lumière du ciel, la fraîcheur de l’eau, la fécondité de la terre, les végétaux et les hôtes des forêts et des campagnes. Il est une mise en ordre du monde. » (Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne].).

L’art des jardins procède de l’architecture et de la sculpture : « l’art topiaire [la taille des arbres et des arbustes] transforme buis et ifs en sculptures végétales… »3Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne].

2. Aménagement. Mais c’est un art vivant, un « art de la précarité »4LAROUSSE, Encyclopédie en ligne, Jardin., constitué de mosaïques et de broderies végétales, éventuellement agrémentées de fontaines, de pavillons, de tonnelles, de murets, de terrasses, de palissades, de claies, de cabanes, de kiosques, de verrières, de ponts, de plans d’eau, d’arches, de balustrades, de vases décoratifs, de statues, de dénivellations voire, parfois, de cette insulte absolue au bon goût que sont les nains de jardin5« Tourner en dérision le nain de jardin, c’est avoir le fou rire du dominant, de celui qui se trouve dans le bon camp, et pas de ceux qui en sont culturellement exclus. » (Jean-Claude Kaufmann, cité par Bertrand MARY, in Petite histoire des nains de jardins, 2017, Paris, éd. Imago, VII).. L’art des jardins est dévolu aux paysagistes et aux jardiniers, dont le pouvoir de séduction n’est plus à démontrer6« D’ordinaire, les jardiniers plaisent aux femmes. Leur intimité avec la nature, leurs connaissances un peu mystérieuses, parsemées de mots latins, leur respect du temps, des saisons et des lenteurs nécessaires, leur préoccupation du plaisir : autant de traits qui les séduisent. Sans oublier quelques données physiques qui en ont troublé plus d’une : des mains larges et calleuses, des visages burinés par le grand air, certains fumets qu’ils engendrent, sueur et terre, quand le travail fut rude, au bout de la journée… je n’oublie pas le cadre propice aux étreintes inédites : un enclos de haies ou de contre-espaliers donne plus d’idées neuves que les murs de la chambre conjugale. » (Erik ORSENNA, Portrait d’un homme heureux : Le Nôtre, 2000, Paris, éd. Fayard).. C’est à eux qu’incombe la lourde tâche de concilier « une matière libre et des formes asservies »7« L’art des jardins sera une conciliation entre ces deux termes, et ses styles seront le résultat des solutions diverses apportées à cette conciliation. » (Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne])., en accord avec le genius loci8Christian NORBERG-SCHULZ, Genius Loci : Paysage, ambiance, architecture, 3e éd., 1997, Sprimont (Belgique), éd. Mardaga. (l’esprit de l’endroit).

2. La diversité des jardins

3. Fonctions. On distingue trois types de jardins : les jardins de production ou de subsistance (le verger, le potager, le jardin médicinal ou aromatique), les jardins de conservation et d’étude (le jardin d’acclimatation ou le jardin botanique) et les jardins d’agrément (le jardin de méditation, le jardin paysager, le jardin public, le jardin d’intérieur, le jardin d’hiver). On pourrait certes ajouter le jardin de tapisserie9La Dame à la licorne, 16e siècle, musée de Cluny, Paris., le jardin de peinture10Les Nymphéas de Claude Monet, 1914-1926, musée de l’Orangerie, Paris ; Le Jardin des délices, triptyque de Jérôme Bosch, 1503-1504, musée du Prado, Madrid. ou le jardin du tapis persan11Voir le fragment de tapis Chahar Bagh, Iran, 18e siècle, musée du Louvre, Paris..

4. Style. Plus encore que par leur fonction, les jardins se singularisent par leur style : entre le jardin à l’anglaise (un parc paysager naturel et tortueux), le jardin chinois (feng shui et aquatique, représentant un monde miniature), le jardin à la française (classique et régulier), le jardin espagnol (sensuel et parfumé), le jardin islamique (étagé et ombragé), le jardin à l’italienne (humaniste, tout en perspectives et en terrasses), le jardin japonais (épuré et abstrait) et le jardin persan (paradisiaque et en croix12« Le traditionnel jardin persan est un rectangle qui est divisé en quatre parties, qui représentent les quatre éléments dont le monde est composé, et au milieu duquel, au point de jonction de ces quatre rectangles, se trouvait un espace sacré : une fontaine, un temple. Et, autour de ce centre, toute la végétation du monde, toute la végétation exemplaire et parfaite du monde devait se trouver réunie. Or, si l’on songe que les tapis orientaux étaient, à l’origine, des reproductions de jardins – au sens strict, des « jardins d’hiver » -, on comprend la valeur légendaire des tapis volants, des tapis qui parcouraient le monde. Le jardin est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique et le tapis est un jardin mobile à travers l’espace. Était-il parc ou tapis ce jardin que décrit le conteur des Mille et Une Nuits ? » (Michel FOUCAULT, « Les Hétérotopies », émission de radio, France-Culture, 7 déc. 1966).), les paysagistes n’ont que l’embarras du choix.

3. La technique des jardins

5. Irrigation. On trouve des jardins sous toutes les latitudes. Or, les cultures nécessitent de l’eau et donc d’importants systèmes d’irrigation (canaux et aqueducs). L’Antiquité, dans sa soif de grandeur, a multiplié les innovations hydrauliques, jusqu’à parvenir à la maîtrise des eaux nécessaire à ses desseins.

Ce fut le grand défi des jardins suspendus de Babylone. Considérés comme l’une des sept merveilles du monde, ces jardins étaient moins suspendus que posés, c’est-à-dire aménagés en gradins sur des toits.

6. Étagement. Imaginez un édifice constitué de terrasses superposées (sur le modèle de la ziggurat et de la tour de Babel) recouvert de fleurs, d’arbustes et même d’arbres. Une fois l’eau de l’Euphrate acheminée, on la faisait monter par une conduite jusqu’à l’étage supérieur de la construction pour ensuite la laisser suinter d’une terrasse à l’autre.

Ainsi, tout l’édifice était sans cesse sous l’eau. Une relative étanchéité était assurée par des couches de plomb, des plaques d’asphalte, puis un lit de briques posé sur des voutes, mais l’eau filtrait continuellement et l’édifice atteignait un poids tel que la stabilité de la construction était mal assurée. L’entreprise, titanesque, ne fut jamais réitérée.

4. La symbolique des jardins

7. Évocation. Dès l’Antiquité, « l’imbrication des bâtiments et des terrasses, les surprises des points de vue se combinent à l’évocation de lieux mythologiques. »13Larousse, « L’art des jardins », Encyclopédie, France Loisirs, 2000, p. 2957. Le jardin comporte une connotation divine.

Dans les traditions grecque et romaine, la liste des douze travaux d’Héraclès (ou Hercule) comptait la tâche de rapporter les pommes d’or du jardin des Hespérides, les nymphes du Couchant. Ailleurs, les monothéismes figurent le paradis comme un jardin (l’Éden ou le Pardès) planté par Dieu lui-même, ce qui prouve que, déjà entrevu créateur de Cosmos14Voir la notice Comment le monde fut créé., Dieu est également paysagiste.

8. Création. Le jardin est une version idéalisée, une vision idyllique de la nature. C’est une utopie, une perpétuelle quête de perfection qui consiste — à chaque fois — à recréer l’univers, à figurer un monde hermétique, fertile et délicat, presque sacré.

Simplifié à l’extrême, le jardin zen — parfois uniquement minéral — en est une évocation. Le jardin peut même avoir pour vocation la mise en valeur du vide et de l’absence15Le Mémorial du 11-Septembre à New York rappelle la disparition des Twin Towers par deux bassins entourés de 400 arbres. Ces bassins, situés à l’emplacement exact des deux anciennes tours, sont profonds de 9 mètres. Des chutes d’eau dévalent leurs parois continuellement.. La déambulation dans un parc symbolise l’horloge des saisons, un parcours initiatique, le labyrinthe de l’existence16« La circulation d’eau est orientée d’est en ouest : elle symbolise la course du soleil mais aussi la vie d’un homme, de la naissance à la mort, et, entre ses deux périodes, les nombreuses transformations et évolutions que peuvent subir tous les éléments et les êtres vivants (végétaux, eau, hommes). » (« Histoire et symbolisme — Symbolisme du parc », Site du Parc Oriental de Maulévrier)..

Références

Illustrations

  • 1
    Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne].
  • 2
    « le jardin a l’ambition d’être une image du monde ; il fait servir à ses fins la lumière du ciel, la fraîcheur de l’eau, la fécondité de la terre, les végétaux et les hôtes des forêts et des campagnes. Il est une mise en ordre du monde. » (Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne].)
  • 3
    Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne].
  • 4
    LAROUSSE, Encyclopédie en ligne, Jardin.
  • 5
    « Tourner en dérision le nain de jardin, c’est avoir le fou rire du dominant, de celui qui se trouve dans le bon camp, et pas de ceux qui en sont culturellement exclus. » (Jean-Claude Kaufmann, cité par Bertrand MARY, in Petite histoire des nains de jardins, 2017, Paris, éd. Imago, VII).
  • 6
    « D’ordinaire, les jardiniers plaisent aux femmes. Leur intimité avec la nature, leurs connaissances un peu mystérieuses, parsemées de mots latins, leur respect du temps, des saisons et des lenteurs nécessaires, leur préoccupation du plaisir : autant de traits qui les séduisent. Sans oublier quelques données physiques qui en ont troublé plus d’une : des mains larges et calleuses, des visages burinés par le grand air, certains fumets qu’ils engendrent, sueur et terre, quand le travail fut rude, au bout de la journée… je n’oublie pas le cadre propice aux étreintes inédites : un enclos de haies ou de contre-espaliers donne plus d’idées neuves que les murs de la chambre conjugale. » (Erik ORSENNA, Portrait d’un homme heureux : Le Nôtre, 2000, Paris, éd. Fayard).
  • 7
    « L’art des jardins sera une conciliation entre ces deux termes, et ses styles seront le résultat des solutions diverses apportées à cette conciliation. » (Pierre GRIMAL, Maurice LÉVY, « Jardins — De l’Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne]).
  • 8
    Christian NORBERG-SCHULZ, Genius Loci : Paysage, ambiance, architecture, 3e éd., 1997, Sprimont (Belgique), éd. Mardaga.
  • 9
    La Dame à la licorne, 16e siècle, musée de Cluny, Paris.
  • 10
    Les Nymphéas de Claude Monet, 1914-1926, musée de l’Orangerie, Paris ; Le Jardin des délices, triptyque de Jérôme Bosch, 1503-1504, musée du Prado, Madrid.
  • 11
    Voir le fragment de tapis Chahar Bagh, Iran, 18e siècle, musée du Louvre, Paris.
  • 12
    « Le traditionnel jardin persan est un rectangle qui est divisé en quatre parties, qui représentent les quatre éléments dont le monde est composé, et au milieu duquel, au point de jonction de ces quatre rectangles, se trouvait un espace sacré : une fontaine, un temple. Et, autour de ce centre, toute la végétation du monde, toute la végétation exemplaire et parfaite du monde devait se trouver réunie. Or, si l’on songe que les tapis orientaux étaient, à l’origine, des reproductions de jardins – au sens strict, des « jardins d’hiver » -, on comprend la valeur légendaire des tapis volants, des tapis qui parcouraient le monde. Le jardin est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique et le tapis est un jardin mobile à travers l’espace. Était-il parc ou tapis ce jardin que décrit le conteur des Mille et Une Nuits ? » (Michel FOUCAULT, « Les Hétérotopies », émission de radio, France-Culture, 7 déc. 1966).
  • 13
    Larousse, « L’art des jardins », Encyclopédie, France Loisirs, 2000, p. 2957.
  • 14
  • 15
    Le Mémorial du 11-Septembre à New York rappelle la disparition des Twin Towers par deux bassins entourés de 400 arbres. Ces bassins, situés à l’emplacement exact des deux anciennes tours, sont profonds de 9 mètres. Des chutes d’eau dévalent leurs parois continuellement.
  • 16
    « La circulation d’eau est orientée d’est en ouest : elle symbolise la course du soleil mais aussi la vie d’un homme, de la naissance à la mort, et, entre ses deux périodes, les nombreuses transformations et évolutions que peuvent subir tous les éléments et les êtres vivants (végétaux, eau, hommes). » (« Histoire et symbolisme — Symbolisme du parc », Site du Parc Oriental de Maulévrier).