La conquête du pouvoir

« Et sur le trône le plus élevé du monde, nous ne sommes encore assis que sur notre cul. »1Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], 1592, Paris, éd. Gallimard [2009], coll. Quarto, Livre III, chap. 13, p. 1347.

— Un jeu de patience

1. Sauf héritage extravagant ou chance providentielle, le pouvoir est un statut qui s’acquiert avec le temps ; c’est aussi une activité dont on espère jouir le plus longtemps possible. À côté de la dimension spatiale qui vient immédiatement à l’esprit puisque le pouvoir s’exerce sur un territoire donné, est donc rappelée — à travers la métaphore du jeu de patience — la dimension temporelle de la souveraineté. Quoi qu’on fasse, le pouvoir s’use. Il se conquiert, s’exerce puis se quitte : aussi absolus soient-ils, tout pouvoir n’est jamais que temporaire, toute puissance est définitivement transitoire2« Tout pouvoir est provisoire ; celui qui l’exerce doit savoir qu’il aura un jour à rendre des comptes. » (Albert JACQUARD, Petite philosophie à l’usage des non-philosophes, 1997, Québec, éd. Québec-Livres, p. 135).

2. Outre le décès (hypothèse de la mort naturelle ou de l’assassinat), les causes de cessation des fonctions sont assez diverses : la fin du mandat ou la défaite électorale, la révocation, la destitution ou la capitulation, la défaite militaire, la capture par l’ennemi ou encore l’abdication3Qui est plus fréquente que l’on croit. Voyez, par exemple, celles des empereurs Dioclétien (Rome, IIIe s) et Charles Quint (Espagne, 1555), de la reine Christine (Suède, 1654), de l’empereur Kōkaku (Japon, 1817), du roi Édouard VIII (Angleterre, 1936), de Léopold III (Belgique, 1951), de la grande-duchesse Charlotte (Luxembourg, 1964), de la reine Juliana (Pays-Bas, 1980) ou du pape Benoît XVI (Vatican, 2013).. Le caractère toujours éphémère du pouvoir terrestre et de ses vaines gloires est rappelé dans l’adage latin Sic transit gloria mundi : ainsi passe la gloire du monde.

3. Du point de vue du corps social, l’institution d’un pouvoir est une nécessité, qui consiste à doter certaines personnes (le souverain, le dirigeant, les ministres, les conseillers) de prérogatives exorbitantes afin qu’elles administrent et gouvernent la communauté (État, région, firme)4« Manager, c’est tenir un certain rôle dans le jeu social. C’est donc d’abord et avant tout prendre part à un jeu — l’entreprise, l’équipe — et jouer le jeu, en respecter les règles et l’intelligence, autrement dit la lettre et l’esprit. » (Valérie DEBRUT, « Manager, c’est donner la règle du jeu », écrire la règle du jeu [en ligne], 24 oct. 2018, §3).. Autrement dit, le pouvoir n’est qu’une délégation, conditionnée et momentanée, perçue par une collectivité comme un engagement envers elle et non comme la récompense personnelle d’un individu5« On crée un supérieur, non pour qu’il y trouve un jour son profit, mais pour le profit de l’inférieur […] » (Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], op. cit., Livre III, chap. 6, p. 1093).. Le pouvoir correspond à une fonction sociale qui crée des attentes auxquelles les dirigeants doivent répondre s’ils veulent garder la confiance des gouvernés6« Les hommes ont fait des rois pour les hommes, et non pas pour les rois ; ils ont mis des chefs à leur tête pour vivre commodément à l’abri de la violence et de l’insulte ; le devoir le plus sacré du prince est de songer au bonheur du peuple avant de songer au sien ; comme un berger fidèle, il doit se dévouer pour son troupeau, et le mener dans les plus gras pâturages. » (Thomas MORE, L’Utopie, 1516, Paris, éd. Paulin [1842], trad. Stouvenel, p. 99)..

 

4. Or, bénéficiant de prérogatives très étendues et d’un immense prestige7« […] c’est évidemment en entrant dans l’arène — comme acteur et non comme commentateur — que l’on participe véritablement au jeu politique, qu’on jouit du prestige et des prérogatives attachés au pouvoir. C’est là la motivation profonde de la participation au jeu politique comme protagoniste et non comme spectateur. » (Valérie DEBRUT, « Le jeu politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 21 nov. 2018, §12)., ces dirigeants peuvent préférer faire de leur statut un usage personnel ou abusif. C’est véritablement là que le pouvoir se présente comme un jeu social, dans cet écart qui apparaît entre le but commun affiché (la gestion d’une collectivité) et les motivations individuelles dissimulées (la carrière du dirigeant)8« De ces hommes incolores, sans vraie personnalité ni talent qui, en d’autres temps, n’eussent été que d’honorables fonctionnaires, dont on s’aperçoit au fil des années que l’ambition est sans mesure et qu’aux fins de la satisfaire ils ont eu l’habileté de mettre au point une stratégie mondaine à long terme, escaladant patiemment les échelons sociaux, visant et obtenant des postes d’influence dont ils se servent pour ouvrir des portes auxquelles il eût autrement été concevable de les voir même se présenter. Technique de la force du poignet pour des Rastignac sans panache. » (Louis CALAFERTE, Rapports (Carnets VI, 1982), 1996, Paris, éd. Gallimard, coll. L’arpenteur, p. 268).. C’est ici également qu’affleure la désillusion quand la communauté découvre que celui qui avait les qualités requises pour séduire son monde n’a pas, en fin de compte, celles indispensables au plein exercice de sa fonction9« Il pensa tout à coup que la possession du pouvoir, quelque immense qu’il pût être, ne donnait pas la science de s’en servir. Le sceptre est un jouet pour un enfant, une hache pour Richelieu, et pour Napoléon un levier à faire pencher le monde. Le pouvoir nous laisse tels que nous sommes et ne grandit que les grands. » (Honoré DE BALZAC, La Peau de chagrin, 1831, dans Œuvres complètes de H. de Balzac, Paris, éd. A. Houssiaux [1855], Tome 14, p. 207)..

5. L’exercice des prérogatives attachées au pouvoir suppose d’avoir pu accéder à une certaine situation, c’est-à-dire à un poste, à un mandat ou à une fonction. Avant d’être affaire de richesse ou de notoriété, le pouvoir est d’abord une question de statut. Ainsi, le but de la conquête du pouvoir (3) — le rang que l’on souhaite atteindre — n’est pas un objectif désincarné. C’est une position sociale connue, précise, délimitée, qui s’insère dans un système, lui aussi situé, de hiérarchies et de réseaux.

6. Ce système qu’il appartient au joueur de découvrir et de connaître sur le bout des doigts conditionne évidemment le mode d’accès à la fonction convoitée (1), selon les règles propres au domaine visé — la politique, l’entreprise, la religion —, même si les mécanismes à l’œuvre relèvent bien de la même ambition. De tout cela, dépendent les moyens qu’il vous est possible de mettre en œuvre pour atteindre votre but (2), notamment les « coups »10« Le coup politique est l’action ou la manœuvre, généralement inventive et risquée, qui vise à obtenir, dans la compétition politique, un avantage significatif, voire décisif sur ses adversaires (gagner une élection, obtenir un poste, retourner l’opinion, reprendre le pouvoir). » (Valérie DEBRUT, « Le coup politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 31 janv. 2018). que vous pourrez tenter pour vous démarquer dans la course au pouvoir.

1. Les conditions de la conquête

— Le cadre

7. Le pouvoir fait des envieux, les places sont chères. C’est cela qui fait de la conquête du pouvoir une course entre de nombreux concurrents, tous plus arrivistes les uns que les autres. Le circuit sur lequel se déroule cette course — ou, si vous préférez, l’échiquier, le plateau de jeu — est ce qu’on désigne ici sous le vocable de cadre. C’est la toile de fond devant laquelle se joue la concurrence pour le pouvoir, un univers mental commun à ses acteurs (par exemple, les électeurs et les candidats), un décor fait d’un ensemble de représentations concrètes et symboliques. Plus précisément, ce cadre englobe :

  1. le domaine concerné (l’économie, la finance, la politique locale ou nationale, le sport, la religion), avec sa culture, ses valeurs et sa langue ;
  2. puis la structure dont vous voulez prendre le pouvoir (une tribu, une entreprise, une association, un État) qui, elle aussi, a sa propre culture et ses habitudes, son histoire et ses impératifs ;
  3. enfin les règles de fonctionnement qui la régissent, notamment la forme de l’État (démocratie ou dictature, République ou Monarchie) ou la structure de l’entreprise (société de capitaux ou coopérative), la désignation et la révocation des dirigeants, l’étendue de leurs pouvoirs et leur responsabilité en cas de manquement.

— La concurrence

8. Ce cadre — qu’on verrait à tort comme strictement légal ou juridique — est tout autant social et culturel, factuel et symbolique11« La conquête du pouvoir repose sur la séduction de l’électorat et l’élimination des concurrents. Pour ce faire, il faut modeler son image, faire des promesses, présenter un programme rassembleur, multiplier les bains de foule, être présent dans les médias, mettre les autres candidats en difficulté. » (Valérie DEBRUT, « Le jeu politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 21 nov. 2018, §29).. C’est pourquoi il est si mouvant et — s’il offre une telle latitude de moyens — peut aussi vous placer en fâcheuse posture. Car pendant que vous concourrez pour décrocher la timbale, c’est-à-dire pendant que vous imaginez une stratégie, changez de tactique, prenez des positions, révélez des informations, formez des coalitions, donnez des coups, trahissez un partenaire, faites chanter un adversaire ou, d’un bon mot, tuez un ennemi, évidemment vos concurrents en font de même, de sorte que tout change en permanence.

9. D’où la prime donnée à la faculté d’anticipation, de prévision, de prospective. Les jeux du pouvoir sont dangereux par hypothèse et incertains par nature. Si la prise d’initiative est généralement récompensée, il faut savoir attendre le bon moment pour agir et faire preuve de beaucoup d’imagination pour sortir du lot. En résumé, parce que le pouvoir est affaire de statut, il dépend des institutions ; puisqu’il attire les concurrents, il dépend des contingences.

2. Les moyens de la conquête

— La force

10. À dire vrai, il n’existe que trois moyens pour conquérir le pouvoir : la naissance (c’est l’hypothèse de l’héritier au trône), la force (par exemple, le coup d’État) et les suffrages (l’élection régulière, éventuellement par tirage au sort). Reposant sur le hasard, la première hypothèse n’intéresse pas le joueur — quoique la succession puisse être moins automatique que prévu et doive faire appel à la force ou à la propagande… Le droit apparaissant toujours plus légitime que la violence, le coup de force ne sera généralement employé que lorsque les moyens légaux ne permettront pas d’accéder au pouvoir.

11. C’est notamment le cas lorsque vous n’êtes pas le favori de l’élection, que le régime est instable, que les circonstances vous sont défavorables. Beaucoup de dictateurs sont arrivés au pouvoir par un coup de force ; mais dans les démocraties non plus, on ne rechigne pas à faire pression sur les événements. La violence et le droit entretiennent des rapports plus intimes qu’il n’y paraît. D’ailleurs, le coup de force — particulièrement prendre la tête de l’armée et destituer le dirigeant en place, ce qui explique que beaucoup de coups d’État soient le fait de militaires — cherche toujours à se parer d’atours constitutionnels. C’est une constante de l’histoire : on n’évoque jamais autant la légalité que lorsqu’elle est douteuse.

— La propagande

12. L’apparence de conformité au droit rejoint la quête de légitimité qui, toutes deux, relèvent de la propagande. Étymologiquement, le mot trouve sa source dans le verbe propager et désigne la mission d’évangélisation entreprise au XVIIe siècle ; c’est au XVIIIe siècle qu’elle prendra son sens de « propagation des doctrines et des opinions »12Fabrice D’ALMEIDA, « Propagande, histoire d’un mot disgracié », Mots. Les langages du politique, n° 69, 2002, p. 137-148, §1-3.. Et si, aujourd’hui, l’expression est tombée en désuétude pour être devenue péjorative13« La notion de propagande subit un discrédit en tant qu’instrument d’oppression au service des groupes dominants. L’anti-autoritarisme se nourrit d’une nouvelle approche de l’échange de messages dans les espaces publics. La théorie de la communication arrive alors en Europe. » « Occulté de l’espace public, propagande est devenu un objet d’histoire et un concept pour évoquer les relations entre masses et élites dans une perspective machiavélique. Son emploi est donc essentiellement critique et sert à dénoncer une forme pernicieuse de circulation de l’information. » (Fabrice D’ALMEIDA, « Propagande, histoire d’un mot disgracié », op. cit., §24 et 28)., elle recouvre pourtant ce qu’on appelle relations publiques, stratégie de communication, marketing d’influence, mais qui ne sont guère que des formes de publicité, de purs procédés de réclame. Dans les démocraties médiatiques, on entend des candidats aux élections proposer leur offre politique, comme si l’électeur n’était qu’un consommateur, qu’il glissait son bulletin dans l’urne comme il achèterait un paquet de lessive…

13. La propagande — qui s’est voulue émancipatrice, éducative puis manipulatrice — vise à la persuasion14« […] la Persuasion, cette souveraine toute-puissante des hommes. » (EURIPIDE, Hécube, 424 av. J.-C., Grèce antique, dans Théâtre complet 2, Paris, éd. Classiques Garnier [1966], trad. Henri Berguin et Georges Duclos, p. 134)., c’est-à-dire à la séduction, afin de convaincre une majorité de votants et d’être préféré aux autres concurrents. Cette réalité place l’usage de la langue et, plus encore, de la parole au cœur du pouvoir, chez des êtres — les Humains — qui sont essentiellement sociaux et symboliques. La Bible ne dit pas autre chose quand elle proclame15« En Élohim [Dieu], les actes de création et de nomination vont de pair, parler-créer démontre la puissance divine en hébreu, langue du créateur : les choses du monde et les choses du langage forment un ensemble que le Créateur surplombe en sa création même. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures. Langue, nombre, code, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 52). : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. »16La Bible, Évangile selon Saint-Jean, chap. 1, verset 1.  Celui qui commande, c’est celui qui parle17« Chez les singes, le chef est celui qui est épouillé par tout le monde, celui qui obéit épouille le chef, et ainsi de suite. Une vaste société d’épouillage. Alors que chez les humains, le chef est d’abord celui qui parle. Grâce à son discours, il commande. Quelquefois il lui arrive de dire des choses dont les conséquences sont qu’il est chassé du pouvoir — d’où le devoir de réserve chez les hommes politiques qui nous gouvernent et, parfois, le devoir de mensonge. » (Jean-Didier VINCENT, « L’homme interprète passionné du monde », dans Pascal PICQ, Michel SERRES, Jean-Didier VINCENT, Qu’est-ce que l’humain ?, 2010, Paris, éd. Le Pommier / Universcience éd., coll. Le collège, p. 18).. Et celui qui accède au pouvoir, c’est celui qui, durant la campagne électorale, a le mieux parlé.

3. Le but de la conquête

— La désignation

14. D’ailleurs, la prise de parole est aussi l’objectif de la conquête. Mais cette fois-ci, il s’agit moins d’une parole de séduction que d’une parole normative (fixant des règles), d’une parole contraignante, comme l’est le droit qui, lui aussi, est un discours prescriptif (il ordonne, oblige ou interdit). L’instrument principal du pouvoir et de sa conquête est sans doute la parole : ne serait-ce que pour convaincre ses partisans et soulever une armée, il faut savoir parler (et bien parler)18« Fils d’un illustre père, moi aussi jadis quand j’étais jeune, j’avais la langue paresseuse et la main active. Mais aujourd’hui que j’en ai fait l’expérience, je vois que, dans la vie des hommes, c’est la parole et non l’action qui conduit tout. » (SOPHOCLE, Philoctète, dans Sophocle. Tome II, trad. Paul Masqueray, 1924, Paris, éd. Les belles lettres, p. 83, v. 96-99)..

15. Après le coup d’État ou l’élection, pour que la conquête du pouvoir soit achevée, doit intervenir la proclamation, qui est à nouveau une parole prescriptive, au sens où elle fait advenir dans la réalité ce que signifient les mots19En France, c’est le Conseil constitutionnel qui est chargé de proclamer le vainqueur aux élections présidentielles et qui, par conséquent, fait de lui le nouveau président de la république (Constitution de 1958, art. 58, al. 2).. Par certaines formules, la désignation du dirigeant le présente à tous comme étant le nouveau chef ; plus abstraitement, elle marque un individu de certains signes pour le distinguer des autres (la foule, le peuple)20C’est l’étymologie du mot désigner : marquer d’un signe, distinguer par un trait distinctif.. Ces signes sont constitués — même dans les régimes politiques les plus modernes — de paroles prononcées à voix haute (la proclamation est ce qui est clamé, déclamé) devant des personnes qui deviennent les sujets ou les administrés du nouveau prince.

— Le sacre

16. D’autres signes encore sont nécessaires pour parfaire la prise de fonction du chef. Le pouvoir étant une activité hautement symbolique21« Le jeu politique se joue dans le champ symbolique, sans transformation de matières premières, à l’abri des intempéries, dans un milieu feutré, le tout aux frais du contribuable. L’activité quotidienne consiste à lire, parler, écrire, plus exactement à conduire des négociations, assurer une veille, prendre des décisions, rédiger des notes, réagir à l’actualité, faire et défaire l’opinion. » (Valérie DEBRUT, « Le jeu politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 21 nov. 2018, §20)., son exercice comporte de nombreux attributs. Il y a, d’une part, tout ce qui est plus ou moins nécessaire à l’exercice de ses attributions — une résidence princière, des véhicules (chevaux, voitures, avions), une garde rapprochée, des conseillers — et, d’autre part, des emblèmes qui sont les métaphores de la puissance du souverain : une couronne, une cape, un sceptre, un trône, en France les insignes de grand’croix de la Légion d’Honneur ou, dans l’Égypte antique, une barbe postiche, également portée par les pharaonnes.

17. C’est au cours d’une cérémonie (le couronnement, le sacre) que le nouveau souverain est consacré, c’est-à-dire — et même dans les démocraties — rendu sacré, isolé du monde profane. Toutes les prises de pouvoir, à nouveau même en démocratie, et même dans l’entreprise, connaissent une forme de sacre, quoique atténué (l’investiture, l’intronisation, la passation des pouvoirs). Cette autre constante de l’histoire est fascinante et en dit long sur les ressorts inconscients du pouvoir, pour celui qui l’exerce et sans doute plus encore pour ceux qui le subissent. La conquête du pouvoir s’achève par la mise en possession de toutes les prérogatives et de tous les attributs dévolus au dirigeant. Le symbolisme de ces rituels ancestraux répond à l’impératif de majesté qui préside à l’exercice de la fonction.

Références

  • La Bible, Évangile selon Saint-Jean, chapitre 1, verset 1.
  • Constitution de 1958, article 58, alinéa 2.
  • Fabrice D’ALMEIDA, « Propagande, histoire d’un mot disgracié », Mots. Les langages du politique, n° 69, 2002, p. 137-148.
  • Honoré DE BALZAC, La Peau de chagrin, 1831, dans Œuvres complètes de H. de Balzac, Paris, éd. A. Houssiaux [1855], Tome 14.
  • Louis CALAFERTE, Rapports (Carnets VI, 1982), 1996, Paris, éd. Gallimard, coll. L’arpenteur.
  • EURIPIDE, Hécube, 424 av. J.-C., Grèce antique, dans Théâtre complet 2, Paris, éd. Classiques Garnier [1966], trad. Henri Berguin et Georges Duclos.
  • Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures. Langue, nombre, code, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines.
  • Albert JACQUARD, Petite philosophie à l’usage des non-philosophes, 1997, Québec, éd. Québec-Livres.
  • Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], 1592, Paris, éd. Gallimard [2009], coll. Quarto.
  • Thomas MORE, L’Utopie, 1516, Paris, éd. Paulin [1842], trad. Stouvenel.
  • Pascal PICQ, Michel SERRES, Jean-Didier VINCENT, Qu’est-ce que l’humain ?, 2010, Paris, éd. Le Pommier / Universcience éd., coll. Le collège.
  • SOPHOCLE, Philoctète, dans Sophocle. Tome II, trad. Paul Masqueray, 1924, Paris, éd. Les belles lettres.

Illustrations

  • 1
    Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], 1592, Paris, éd. Gallimard [2009], coll. Quarto, Livre III, chap. 13, p. 1347.
  • 2
    « Tout pouvoir est provisoire ; celui qui l’exerce doit savoir qu’il aura un jour à rendre des comptes. » (Albert JACQUARD, Petite philosophie à l’usage des non-philosophes, 1997, Québec, éd. Québec-Livres, p. 135)
  • 3
    Qui est plus fréquente que l’on croit. Voyez, par exemple, celles des empereurs Dioclétien (Rome, IIIe s) et Charles Quint (Espagne, 1555), de la reine Christine (Suède, 1654), de l’empereur Kōkaku (Japon, 1817), du roi Édouard VIII (Angleterre, 1936), de Léopold III (Belgique, 1951), de la grande-duchesse Charlotte (Luxembourg, 1964), de la reine Juliana (Pays-Bas, 1980) ou du pape Benoît XVI (Vatican, 2013).
  • 4
    « Manager, c’est tenir un certain rôle dans le jeu social. C’est donc d’abord et avant tout prendre part à un jeu — l’entreprise, l’équipe — et jouer le jeu, en respecter les règles et l’intelligence, autrement dit la lettre et l’esprit. » (Valérie DEBRUT, « Manager, c’est donner la règle du jeu », écrire la règle du jeu [en ligne], 24 oct. 2018, §3).
  • 5
    « On crée un supérieur, non pour qu’il y trouve un jour son profit, mais pour le profit de l’inférieur […] » (Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], op. cit., Livre III, chap. 6, p. 1093).
  • 6
    « Les hommes ont fait des rois pour les hommes, et non pas pour les rois ; ils ont mis des chefs à leur tête pour vivre commodément à l’abri de la violence et de l’insulte ; le devoir le plus sacré du prince est de songer au bonheur du peuple avant de songer au sien ; comme un berger fidèle, il doit se dévouer pour son troupeau, et le mener dans les plus gras pâturages. » (Thomas MORE, L’Utopie, 1516, Paris, éd. Paulin [1842], trad. Stouvenel, p. 99).
  • 7
    « […] c’est évidemment en entrant dans l’arène — comme acteur et non comme commentateur — que l’on participe véritablement au jeu politique, qu’on jouit du prestige et des prérogatives attachés au pouvoir. C’est là la motivation profonde de la participation au jeu politique comme protagoniste et non comme spectateur. » (Valérie DEBRUT, « Le jeu politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 21 nov. 2018, §12).
  • 8
    « De ces hommes incolores, sans vraie personnalité ni talent qui, en d’autres temps, n’eussent été que d’honorables fonctionnaires, dont on s’aperçoit au fil des années que l’ambition est sans mesure et qu’aux fins de la satisfaire ils ont eu l’habileté de mettre au point une stratégie mondaine à long terme, escaladant patiemment les échelons sociaux, visant et obtenant des postes d’influence dont ils se servent pour ouvrir des portes auxquelles il eût autrement été concevable de les voir même se présenter. Technique de la force du poignet pour des Rastignac sans panache. » (Louis CALAFERTE, Rapports (Carnets VI, 1982), 1996, Paris, éd. Gallimard, coll. L’arpenteur, p. 268).
  • 9
    « Il pensa tout à coup que la possession du pouvoir, quelque immense qu’il pût être, ne donnait pas la science de s’en servir. Le sceptre est un jouet pour un enfant, une hache pour Richelieu, et pour Napoléon un levier à faire pencher le monde. Le pouvoir nous laisse tels que nous sommes et ne grandit que les grands. » (Honoré DE BALZAC, La Peau de chagrin, 1831, dans Œuvres complètes de H. de Balzac, Paris, éd. A. Houssiaux [1855], Tome 14, p. 207).
  • 10
    « Le coup politique est l’action ou la manœuvre, généralement inventive et risquée, qui vise à obtenir, dans la compétition politique, un avantage significatif, voire décisif sur ses adversaires (gagner une élection, obtenir un poste, retourner l’opinion, reprendre le pouvoir). » (Valérie DEBRUT, « Le coup politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 31 janv. 2018).
  • 11
    « La conquête du pouvoir repose sur la séduction de l’électorat et l’élimination des concurrents. Pour ce faire, il faut modeler son image, faire des promesses, présenter un programme rassembleur, multiplier les bains de foule, être présent dans les médias, mettre les autres candidats en difficulté. » (Valérie DEBRUT, « Le jeu politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 21 nov. 2018, §29).
  • 12
    Fabrice D’ALMEIDA, « Propagande, histoire d’un mot disgracié », Mots. Les langages du politique, n° 69, 2002, p. 137-148, §1-3.
  • 13
    « La notion de propagande subit un discrédit en tant qu’instrument d’oppression au service des groupes dominants. L’anti-autoritarisme se nourrit d’une nouvelle approche de l’échange de messages dans les espaces publics. La théorie de la communication arrive alors en Europe. » « Occulté de l’espace public, propagande est devenu un objet d’histoire et un concept pour évoquer les relations entre masses et élites dans une perspective machiavélique. Son emploi est donc essentiellement critique et sert à dénoncer une forme pernicieuse de circulation de l’information. » (Fabrice D’ALMEIDA, « Propagande, histoire d’un mot disgracié », op. cit., §24 et 28).
  • 14
    « […] la Persuasion, cette souveraine toute-puissante des hommes. » (EURIPIDE, Hécube, 424 av. J.-C., Grèce antique, dans Théâtre complet 2, Paris, éd. Classiques Garnier [1966], trad. Henri Berguin et Georges Duclos, p. 134).
  • 15
    « En Élohim [Dieu], les actes de création et de nomination vont de pair, parler-créer démontre la puissance divine en hébreu, langue du créateur : les choses du monde et les choses du langage forment un ensemble que le Créateur surplombe en sa création même. » (Clarisse HERRENSCHMIDT, Les trois écritures. Langue, nombre, code, 2007, Paris, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, p. 52).
  • 16
    La Bible, Évangile selon Saint-Jean, chap. 1, verset 1.
  • 17
    « Chez les singes, le chef est celui qui est épouillé par tout le monde, celui qui obéit épouille le chef, et ainsi de suite. Une vaste société d’épouillage. Alors que chez les humains, le chef est d’abord celui qui parle. Grâce à son discours, il commande. Quelquefois il lui arrive de dire des choses dont les conséquences sont qu’il est chassé du pouvoir — d’où le devoir de réserve chez les hommes politiques qui nous gouvernent et, parfois, le devoir de mensonge. » (Jean-Didier VINCENT, « L’homme interprète passionné du monde », dans Pascal PICQ, Michel SERRES, Jean-Didier VINCENT, Qu’est-ce que l’humain ?, 2010, Paris, éd. Le Pommier / Universcience éd., coll. Le collège, p. 18).
  • 18
    « Fils d’un illustre père, moi aussi jadis quand j’étais jeune, j’avais la langue paresseuse et la main active. Mais aujourd’hui que j’en ai fait l’expérience, je vois que, dans la vie des hommes, c’est la parole et non l’action qui conduit tout. » (SOPHOCLE, Philoctète, dans Sophocle. Tome II, trad. Paul Masqueray, 1924, Paris, éd. Les belles lettres, p. 83, v. 96-99).
  • 19
    En France, c’est le Conseil constitutionnel qui est chargé de proclamer le vainqueur aux élections présidentielles et qui, par conséquent, fait de lui le nouveau président de la république (Constitution de 1958, art. 58, al. 2).
  • 20
    C’est l’étymologie du mot désigner : marquer d’un signe, distinguer par un trait distinctif.
  • 21
    « Le jeu politique se joue dans le champ symbolique, sans transformation de matières premières, à l’abri des intempéries, dans un milieu feutré, le tout aux frais du contribuable. L’activité quotidienne consiste à lire, parler, écrire, plus exactement à conduire des négociations, assurer une veille, prendre des décisions, rédiger des notes, réagir à l’actualité, faire et défaire l’opinion. » (Valérie DEBRUT, « Le jeu politique », écrire la règle du jeu [en ligne], 21 nov. 2018, §20).