Les cosmogonies, récits de la création du monde

1. Sujet de rédaction. Racontez la vie et l’œuvre du chef d’orchestre, grand architecte ou créateur du Cosmos, tel que vous vous le représentez ou tel que vous aimeriez qu’il soit.

Décrivez la manière dont il s’y est pris pour tirer le monde du néant et prenez soin de préciser les conséquences de ses actes sur la vie des humains : répartition des rôles, partage des ressources, rites et traditions, modèles idéaux.

Vous pouvez recourir à toutes les figures fantastiques qui vous viennent à l’esprit : êtres surnaturels, monstres grotesques ou créatures légendaires. Vous adoptez des tournures de phrases simples, situez le récit au passé et utilisez un vocabulaire imagé, idéalement désuet.

« AU COMMENCEMENT était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. »1Évangile selon Jean, chap. 1, verset 1, trad. officielle liturgique.

1. Panorama cosmogonique

2. Nature. Voilà comment on pourrait brièvement décrire les récits cosmogoniques comme genre littéraire. En toute rigueur, la cosmogonie est l’étude de la formation du monde (la cosmologie est, elle, l’étude des lois qui gouvernent l’univers physique). Mais un glissement sémantique s’est opéré2« La distinction entre cosmologie et cosmogonie est un peu forcée, mais elle est commode pour l’Anthropogénie. Les cosmologies désignent alors les études scientifiques des formations du monde en général, celles de l’Univers et celles du Vivant, tandis que les cosmogonies désignent les productions artistiques qui font écho, avec les moyens et les fins de l’art, aux connaissances cosmologiques à un moment. » (Henri VAN LIER, Anthropogénie, 2002). « … le terme de cosmologie s’est généralisé et englobe ce qui autrefois apparaissait sous les dénominations distinctes de cosmographie et de cosmogonie. » (Marc LACHIÈZE-REY, « Cosmologie », Encyclopædia Universalis, consulté le 12 septembre 2018). et, désormais, la cosmogonie désigne la « partie des mythologies qui racontent la naissance du monde et des hommes. »3LAROUSSE, Dictionnaire en ligne, Cosmogonie, 2.

3. Les cosmogonies sont ainsi des récits qui retracent la création du Cosmos, dévoilent l’amorce et les balbutiements du monde, narrent le lever de rideau originel. Hors de toute cohérence, ces mythes présentent « des histoires sans queue ni tête, remplies d’incidents absurdes »4Claude LÉVI-STRAUSS, De près et de loin, 2009, Paris, éd. Odile Jacob, p. 186., pourtant perçus comme étant vrais par ceux qui les écoutent. On les raconte souvent au cours de cérémonies sacrées, ce qui accroît encore leur caractère de véracité.

4. Exemples. Pour ceux qui n’y croient pas, ces incroyables fables restent des modèles du genre, source inépuisable d’inspiration et de dépaysement. Lire ou entendre ces cosmogonies, c’est ouvrir la malle aux trésors. Dans la Genèse, Dieu créa le monde en six jours et se reposa le septième5« Naturellement, quand un Dieu se met à l’œuvre pendant six jours, et se dit enfin bravo à lui-même, il en doit résulter quelque chose de passable. » (GOETHE, Faust, 1808, Paris, éd. Maxi-Poche Classiques Étrangers [2007], p. 93).. Dans le Popol Vuh maya, les dieux s’y reprirent à trois fois pour créer l’être humain, d’abord à partir de glaise, puis de bois, enfin de maïs.

5. Le mythe sumérien d’Enki et Ninhursag raconte comment Enki irrigua les terres en creusant un puits avec sa verge — ce qui n’est pas donné à tout le monde, vous en conviendrez. Plus fort encore, Mbombo, le géant bantou, fut pris d’une violente douleur à l’estomac et vomit, les uns après les autres, le Soleil, la Lune, les étoiles, ainsi que les arbres, les animaux et les peuples. Preuve, si besoin était, que les dieux — ces super-héros des temps anciens — savent faire flèche de tout bois.

2. Structure cosmogonique

6. Mécanique. Au plan littéraire, les cosmogonies ne comportent pas de grande particularité : elles développent une intrigue, parfois entrecoupée de descriptions, qui suit souvent les cinq étapes classiques du récit (l’état initial, l’événement perturbateur, les péripéties, l’élément de résolution, l’état final).

Leur vraie particularité tient au sujet — la création du Cosmos — et à son traitement mythique. Il s’agit d’expliquer l’origine du monde et de justifier l’organisation actuelle du groupe social. Des procédés spéciaux sont donc utilisés pour fasciner les auditeurs et les faire adhérer à la représentation du monde proposée. Il faut que ça ait de l’allure.

« Cela s’accomplit toujours dans la transe prophétique d’une tension et d’une dramatisation extrêmes, la création ne pouvant être qu’héroïque et spectaculaire, d’autant que le Créateur se retire ensuite de sa création pour y demeurer caché. Insondable et mystérieuse création. »6Guy SAMAMA, « Peut-on se passer de l’idée de création ? », revue Pardès (Études et cultures juives), 2001/2, n° 31, p. 139-164.

7. Variantes. À cette fin, on identifie quatre variantes du mythe cosmogonique7Mircea ELIADE, « Création – Les mythes de la création », Encyclopædia Universalis, consulté le 12 septembre 2018. :

  1. les mythes décrivant la création du monde par la pensée, la parole ou l’échauffement d’un dieu,
  2. les mythes montrant le plongeon d’un dieu au fond de l’Océan primordial pour en rapporter de la glaise et former la Terre,
  3. les mythes expliquant la Création par la division d’une matière primordiale (le couple ciel et Terre, le chaos ou un œuf),
  4. les mythes mettant en scène le démembrement d’un géant ou d’un monstre.

8. Thématique. Sur un autre plan, ces récits portent l’empreinte des préoccupations des êtres humains, de leurs croyances métaphysiques et de la structure de leur psychisme : y figurent généralement le monde et le néant, la vie et la mort, la nature et la culture, les hommes et les femmes, les conflits et leur résolution… C’est à la présence de toutes ces thématiques et considérations en un seul récit que tient la richesse des cosmogonies.

« [Un mythe], c’est une histoire qui cherche à rendre compte à la fois de l’origine des choses, des êtres et du monde, du présent et de l’avenir, et qui cherche en même temps simultanément à traiter des problèmes qui nous apparaîtraient aujourd’hui, à la lumière de notre pensée scientifique, comme tout à fait hétérogènes, différents les uns par rapport aux autres, à les traiter comme s’ils étaient un seul problème et qui admettait une seule réponse. Un mythe, c’est par exemple une histoire qui essaiera d’expliquer, à la fois, pourquoi il se trouve que le soleil est à bonne distance de la Terre (alors qu’il pourrait être beaucoup plus loin et ce serait la nuit éternelle ou beaucoup plus près et le monde entrerait en conflagration) et pourquoi un homme doit aller chercher son épouse à bonne distance (pas trop loin parce qu’alors ça pourrait être une étrangère et une ennemie et une sorcière, pas trop près parce qu’il se rendrait coupable du péché d’inceste) et pourquoi également les saisons et les jours ne se succèdent pas à toute vitesse mais selon un rythme régulier, enfin pourquoi il existe une certaine bonne mesure à la fois dans l’ordre cosmologique, dans l’ordre météorologique, dans l’ordre saisonnier et dans l’ordre social. Nous, avec nos préoccupations scientifiques, et qui avons appris avec Descartes qu’il faut diviser les difficultés en autant de parties qu’il est requis pour les résoudre, nous considèrerions que ce sont des problèmes complètement différents et qui doivent être posés chacun dans sa perspective propre et résolu dans ses propres termes. Le mythe, au contraire, essaye de mettre tout ça ensemble et de trouver une réponse unique à des problèmes différents. »8Claude LÉVI-STRAUSS, interrogé par Bernard PIVOT, dans l’émission Apostrophes, Antenne 2, 4 mai 1984.

Références

Illustrations

  • MICHEL-ANGE, La création d’Adam, fresque, XVIe siècle, Chapelle-Sixtine, Vatican.
  • Idem, La Séparation de la lumière et des ténèbres.
  • Idem, La Création du soleil, de la lune et des plantes.
  • Idem, La Séparation des terres et des eaux.
  • Idem, La création d’Ève.
  • 1
    Évangile selon Jean, chap. 1, verset 1, trad. officielle liturgique.
  • 2
    « La distinction entre cosmologie et cosmogonie est un peu forcée, mais elle est commode pour l’Anthropogénie. Les cosmologies désignent alors les études scientifiques des formations du monde en général, celles de l’Univers et celles du Vivant, tandis que les cosmogonies désignent les productions artistiques qui font écho, avec les moyens et les fins de l’art, aux connaissances cosmologiques à un moment. » (Henri VAN LIER, Anthropogénie, 2002). « … le terme de cosmologie s’est généralisé et englobe ce qui autrefois apparaissait sous les dénominations distinctes de cosmographie et de cosmogonie. » (Marc LACHIÈZE-REY, « Cosmologie », Encyclopædia Universalis, consulté le 12 septembre 2018).
  • 3
    LAROUSSE, Dictionnaire en ligne, Cosmogonie, 2.
  • 4
    Claude LÉVI-STRAUSS, De près et de loin, 2009, Paris, éd. Odile Jacob, p. 186.
  • 5
    « Naturellement, quand un Dieu se met à l’œuvre pendant six jours, et se dit enfin bravo à lui-même, il en doit résulter quelque chose de passable. » (GOETHE, Faust, 1808, Paris, éd. Maxi-Poche Classiques Étrangers [2007], p. 93).
  • 6
    Guy SAMAMA, « Peut-on se passer de l’idée de création ? », revue Pardès (Études et cultures juives), 2001/2, n° 31, p. 139-164.
  • 7
    Mircea ELIADE, « Création – Les mythes de la création », Encyclopædia Universalis, consulté le 12 septembre 2018.
  • 8
    Claude LÉVI-STRAUSS, interrogé par Bernard PIVOT, dans l’émission Apostrophes, Antenne 2, 4 mai 1984.