Le pessimisme, cette qualité toute française

À propos du point de vue développé dans l’article « Le pessimisme français face à ses contradictions »

— Le pessimisme des Français

1. Les Français et le pessimisme… vaste sujet. Sommes-nous pessimistes ? Il semble que oui. Est-ce cependant un défaut ? Je ne le crois pas. Cet article — intéressant au demeurant, sans quoi je ne l’aurais pas commenté — se propose de mettre en lumière les contradictions du pessimisme français. Il montre que nos indicateurs économiques sont bons (ou du moins pas mauvais) comparés à ceux de nos voisins européens. Disant cela, le propos porte à penser que notre pessimisme n’a pas grand fondement. En somme, le défaitisme, l’insatisfaction, voire l’anxiété ne seraient que de simples habitudes culturelles. Il est bien connu que le Français est râleur et qu’il préfère voir le verre à moitié vide…

— L’inanité des comparaisons

2. Or cette analyse repose sur des critères devenus obsolètes : le revenu disponible ou revenu médian, le taux de chômage ou taux de pauvreté, etc. Ce sont là les indicateurs d’un ancien monde, d’un monde qui ne reconnaît ni le péril écologique, ni la violence symbolique, qui ne tient pas compte du harcèlement, des abus, des discriminations, de la pollution. Pour que l’exercice soit (plus) probant, il faudrait songer à diversifier les critères pour intégrer des préoccupations plus actuelles.

3. Mais au-delà du choix des critères, c’est le fait même que l’analyse porte sur la comparaison, voire la concurrence entre États qui est gênant. Sans doute ne sommes-nous pas si mal lotis par rapport à nos voisins. Mais la vie chez nos voisins est-elle si idyllique, si formidable ? Quel pays, d’Europe ou d’ailleurs, peut se targuer d’avoir trouvé le modèle de société qui résout des impératifs contradictoires, qui réconcilie liberté et sécurité, développement durable et prospérité économique, partage des richesses et initiative individuelle ?

4. Je n’ai jamais porté un grand crédit à la comparaison. Se comparer aux autres, c’est chercher à se rassurer dans un monde devenu médiocre et sans exigence. C’est aussi occulter le manque de créativité de nos gouvernants. Car la créativité n’est pas dans la comparaison, elle avance sur son propre chemin. Et, ayant été donnée au monde, une idée nouvelle peut inspirer, essaimer, être reprise.

— L’idéalisme à la française

5. Tout cela nous conduit à l’idéalisme des Français. L’idéalisme qui est le revers de ce pessimisme. L’idéalisme qui, pour le coup, est une qualité très française. Ce qui nous différencie des autres peuples, c’est cette capacité à faire la différence entre ce qui est et ce qui devrait être. Or, au vu des objectifs qu’il se donne (développement durable, plein-emploi, logement décent, sécurité, justice) et des moyens dont il dispose (institutions, technologies, statistiques, connaissances), ce monde n’est pas ce qu’il devrait être. Si les Français sont mécontents, c’est peut-être qu’ils ont de bonnes raisons de l’être. J’ose croire que c’est là le vrai sens du pessimisme français.

« Plus méfiants que jamais à l’égard de leurs leaders, [les Français] se mettent de plus en plus en retrait de la sphère publique mais restent capables de se rassembler par millions dans les rues de toute la France pour réaffirmer les valeurs républicaines. Vue sous cet angle, la défiance qui s’empare des Français aujourd’hui exprime leur rébellion contre un monde qui leur semble de plus en plus chaotique et dominé par le mercantilisme anglo-américain. Une chose est certaine, cependant : alors qu’ils s’apprêtent à relever les défis du XXIe siècle, les Français continueront à peindre la condition humaine avec élégance et sophistication et demeureront le plus intellectuel de tous les peuples. »1Sudhir Hazareesingh, Ce pays qui aime les idées, histoire d’une passion française, 2015, Paris, éd. Flammarion [2017], Postface.

Références

Illustrations