Sous Louis XIV

1. Le décor

1. La vie sous Louis XIV est un manège qui tourne éternellement autour du Roy, ce Soleil rayonnant qui illumine la Terre. La cour est proprement un théâtre1« Dans l’ancien régime, tous les Français, plus ou moins, s’occupaient extrêmement du paraître, parce que le théâtre de la société en inspire singulièrement le désir. » (Madame de STAËL, De la littérature, Tome 2nd, 1800, Paris, éd. Maradan, p. 13)., avec ses personnages et ses rôles, ses déguisements et ses farces. Louis fait de ses sujets des marionnettes de porcelaine, qu’il agite, manie et renverse à sa guise. Il ordonne que de la grande musique soit composée en son honneur et danse lui-même les ballets pour se mettre en scène.

2. Des pièces de théâtre créées pour Versailles amusent la galerie ; les nobles étant désœuvrés, ils pratiquent toutes sortes de jeux d’argent. Les décors sont grandioses et pleins de magnificence. Fontaines opulentes, jardins à perte de vue, architecture majestueuse, mobilier richement orné : on ne craint guère la démesure ; tout doit surprendre et contenter l’œil.

« Les grands se piquent d’ouvrir une allée dans une forêt, de soutenir des terres par de longues murailles, de dorer des plafonds, de faire venir dix pouces d’eau, de meubler une orangerie ; mais de rendre un cœur content, de combler une âme de joie, de prévenir d’extrêmes besoins ou d’y remédier, leur curiosité ne s’étend point jusque-là. »2LA BRUYÈRE, Les caractères, 1688, chap. 9, « Des grands », n° 4.

Les mœurs

3. On use, à la cour de Louis, d’une langue qu’un Français actuel parvient tout juste à lire3Voir les fables de Jean de La Fontaine, les pièces de Jean Racine, les lettres de Mme de Sévigné.. La langue parlée le déconcerterait : on roule les r comme pour imiter les carrosses ; on ne prononce pas « roi » comme aujourd’hui (« roua » [ʀwa]), on dit le « roué » [ʀwɛ]. Surtout, on est grandiloquent. La préciosité4Celle des précieuses ridicules, la pièce de MOLIÈRE (et/ou CORNEILLE), créée le 18 novembre 1659 à Paris. est passée par là. On parle beaucoup trop fort, on est exubérant ; en tout, on exagère.

4. La conversation est faite de grands gestes, d’éclats de voix, d’une outrance forcée. Les mœurs étant trop libres et les femmes sous le joug des hommes, les mains sont fort baladeuses à la cour du Roy Soleil. Pour le reste, les femmes sont tenues à l’écart, servant tout juste d’objets d’apparat ; seules quelques rares d’entre elles (Mme de Maintenon, Mme de Montespan, Anne d’Autriche) font exception.

2. Le quotidien

5. Les habitudes de vie sont, elles aussi, assez différentes : le Roy est réveillé à 8h30. Suivent les rituels des Petit et Grand levers (ablutions, coiffure, rasage, habillage, déjeuner d’un bouillon). À 10h30, il traverse la galerie des Glaces pour assister à la messe. À 11h, le Roy tient conseil. Il déjeune seul — mais en public — à 13h. L’après-midi est consacrée à la promenade ou à la chasse. En rentrant, il travaille à nouveau et ne dîne qu’à 22h. À 23h30, c’est le coucher du Roy5« Une journée de Louis XIV — Le quotidien du roi », Site du château de Versailles., selon un nouveau rituel.

6. À table, les saveurs dérouteraient le critique gastronomique actuel : les viandes sont plus faisandées et les vins sont coupés à l’eau. On utilise encore pas mal d’épices mais on leur préfère désormais les herbes aromatiques. Il faudrait pouvoir se représenter les énormes quantités de nourriture qui passent par la table du Roy… Les courtisans et bourgeois de Versailles se nourrissent d’ailleurs de ses restes, revendus par des laquais aux portes des cuisines.

3. L’hygiène

7. Mais ce qui surprendrait le plus un visiteur du XXIe siècle, c’est la puanteur suffocante. Si l’on utilise tant de parfum, c’est que l’on sent affreusement mauvais. L’état dentaire des gens, y compris des grands du Royaume, est affligeant. Les dents noircissent, elles tombent, on les arrache. Les dentitions gâtées sont la norme. Louis XIV eut souvent recours aux services de l’« opérateur des dents de la cour »6Lui arrachant des dents, sans anesthésie bien sûr, ce dentiste lui troua le palais — à tel point que la nourriture ou la boisson ressortait par le nez du Roy… — puis, la plaie s’étant infectée, il fallut cautériser par des « boutons de feu ». Louis XIV en garda toute sa vie une haleine si fétide qu’il demandait qu’on ouvre systématiquement les fenêtres de la pièce où il se trouvait (même en hiver), peut-être aussi pour se préserver de l’infecte haleine des autres… et passera ses longues années de vieillesse sans plus pouvoir mâcher.

8. Il y a bien des latrines au château de Versailles, mais en nombre insuffisant, si bien qu’il n’est pas rare de voir des courtisans — hommes et femmes — uriner derrière les rideaux ou contre les tapisseries. Le Roy lui-même fait ses besoins en public, même les plus incommodants, sur sa chaise percée.

S’il change de chemise plusieurs fois par jour, il ne pratique ordinairement qu’une sobre toilette sèche. Il lui arrive toutefois de se baigner dans une rivière, quand l’occasion se présente. Les riches vêtements décorés sont tellement fragiles qu’on ne peut pas les laver. On les aère, puis on les place dans des coffres avec des herbes odorantes.

4. L’apparat

9. Les soins sont nombreux, particulièrement pour les femmes. Coiffure, maquillage et perruque nécessitent des heures de travail. Hommes et femmes sont poudrés et portent des souliers à talons ; leurs vêtements croulent sous les rubans et falbalas ; les épaisseurs d’étoffe reposent sur des attèles ou des corsets.

10. Les femmes se fardent avec du blanc de céruse, qui attaque leur chair. L’épiderme s’en trouve grêlé de boutons, de croûtes, de crevasses. Le visiteur contemporain serait horrifié. Cherchant à recouvrir ces impuretés, elles s’appliquent plus de pigment corrosif et ne font qu’aggraver le mal. Les hommes se maquillant moins, ils sont moins marqués. Le visage du Roy est cependant jonché de traces de petite vérole.

11. Évidemment, ni la dentition déplorable ni la peau répugnante ne figurent sur les tableaux d’époque… On ne soupçonne pas non plus que chacun a constamment mal quelque part et craint, plus que tout, la maladie.

5. L’étiquette

12. Les besoins du corps et le bien-être physique ne sont pas au goût du jour ; le confort est une préoccupation du XXe siècle… Au XVIIe, la primauté est donnée aux apparences, à la grandeur, au prestige. À la cour de Louis XIV, la vie entière est une pièce de théâtre.

Les fêtes données par le Roy sont un éblouissement que le monde n’a plus connu depuis. Mais, pour les courtisans, le faste a son revers7« Plaire ou déplaire était la véritable source des punitions et des récompenses, qui n’étaient point infligées par les lois. Il y avait dans d’autres pays des gouvernements monarchiques, des rois absolus, des cours somptueuses ; mais nulle part on ne trouvait réunies les mêmes circonstances qui influaient sur l’esprit et les mœurs des Français. » (Madame DE STAËL, De la littérature, Tome 2nd, 1800, Paris, éd. Maradan, p. 3). : la pression constante de l’étiquette.

13. La vie actuelle, aussi, a ses codes ; mais elle n’est en rien comparable à l’écrasante atmosphère qui règne alors à Versailles. Vivre à la cour, c’est plonger dans un gigantesque jeu social, anxiogène et omniprésent. Sous couvert de frivolité, tout est savamment orchestré et suit un protocole tatillon.

Les codes sont fort nombreux et exigent — de la part des courtisans — la plus grande vigilance8« D’individus en individus, de classe en classe, la vanité souffrante n’était en repos que sur le trône ; dans toute autre situation, depuis le plus élevées jusqu’aux dernières, on passait sa vie à se comparer avec ses égaux ou ses supérieurs. » (Madame DE STAËL, De la littérature, Tome 2nd, 1800, Paris, éd. Maradan, p. 60-61).. Car Louis n’hésite pas à congédier, répudier ou embastiller les fâcheux et disgraciées. Dans ce ballet de faux-semblants, il reste le maître absolu.

« Il y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels. Qui croirait que l’empressement pour les spectacles, que les éclats et les applaudissements aux théâtres de Molière et d’Arlequin, les repas, la chasse, les ballets, les carrousels couvrissent tant d’inquiétudes, de soins et de divers intérêts, tant de craintes et d’espérances, des passions si vives et des affaires si sérieuses ? »9LA BRUYÈRE, Les caractères, 1688, chap. 8, « De la cour », n° 63.

Références

— Livres & articles

— Images

— Films

Illustrations

  • 1
    « Dans l’ancien régime, tous les Français, plus ou moins, s’occupaient extrêmement du paraître, parce que le théâtre de la société en inspire singulièrement le désir. » (Madame de STAËL, De la littérature, Tome 2nd, 1800, Paris, éd. Maradan, p. 13).
  • 2
    LA BRUYÈRE, Les caractères, 1688, chap. 9, « Des grands », n° 4.
  • 3
    Voir les fables de Jean de La Fontaine, les pièces de Jean Racine, les lettres de Mme de Sévigné.
  • 4
    Celle des précieuses ridicules, la pièce de MOLIÈRE (et/ou CORNEILLE), créée le 18 novembre 1659 à Paris.
  • 5
    « Une journée de Louis XIV — Le quotidien du roi », Site du château de Versailles.
  • 6
    Lui arrachant des dents, sans anesthésie bien sûr, ce dentiste lui troua le palais — à tel point que la nourriture ou la boisson ressortait par le nez du Roy… — puis, la plaie s’étant infectée, il fallut cautériser par des « boutons de feu ». Louis XIV en garda toute sa vie une haleine si fétide qu’il demandait qu’on ouvre systématiquement les fenêtres de la pièce où il se trouvait (même en hiver), peut-être aussi pour se préserver de l’infecte haleine des autres…
  • 7
    « Plaire ou déplaire était la véritable source des punitions et des récompenses, qui n’étaient point infligées par les lois. Il y avait dans d’autres pays des gouvernements monarchiques, des rois absolus, des cours somptueuses ; mais nulle part on ne trouvait réunies les mêmes circonstances qui influaient sur l’esprit et les mœurs des Français. » (Madame DE STAËL, De la littérature, Tome 2nd, 1800, Paris, éd. Maradan, p. 3).
  • 8
    « D’individus en individus, de classe en classe, la vanité souffrante n’était en repos que sur le trône ; dans toute autre situation, depuis le plus élevées jusqu’aux dernières, on passait sa vie à se comparer avec ses égaux ou ses supérieurs. » (Madame DE STAËL, De la littérature, Tome 2nd, 1800, Paris, éd. Maradan, p. 60-61).
  • 9
    LA BRUYÈRE, Les caractères, 1688, chap. 8, « De la cour », n° 63.